Lunea. Lenau-Szenen
Christian Gerhaher, baryton, Philharmonia Zürich, Basler Madrigalisten, direction Heinz Holliger
Après Louis Soutter, Friedrich Hölderlin et Robert Walser, un autre artiste frappé par la folie a retenu l’attention de Heinz Holliger : Nikolaus Lenau. Lunea (anagramme mêlant Lenau-lunatique) était au départ un cycle de lieder ; il servit de canevas au livret de Händl Klaus. Celui-ci a prélevé de courtes citations de documents privés, et les a réagencées sans préoccupation d’ordre chronologique. Un poème seulement se cache dans ces « vingt-trois feuilles de vie ».
L’ambiance se veut nocturne, oppressante, aussi chaque phrase de Lenau agit-elle comme un craquement d’allumette dans l’abîme. L’écheveau lexical se trouve passablement embrouillé par sa traduction musicale : les deux barytons représentent la personnalité divisée du poète quand les trois femmes embrassent sept personnages. Un chœur de douze voix, traité à la manière d’un madrigal, fait office de chambre d’écho. Composé de trente-quatre musiciens, l’orchestre intervient moins en tutti qu’en échappées solistes : le cymbalum remplace le continuo, les percées du violon renvoient à l’instrument dont jouait le poète.
D’une modernité sans concession, l’écriture vibratile de Holliger évolue dans les textures et les dynamiques raréfiées. La vocalité se ressent d’une métrique comme atomisée en minuscules imbrications (duolets, triolets, etc.) cependant que l’harmonie investit le champ de l’infrachromarisme. La prestation de Christian Gerhaher relève de l’accomplissement.
Jérémie Bigorie