Don Bryant

Lors de son concert à la Villette le 4 septembre 2017, Don Bryant a chuté. Le public s’est pétrifié, inquiet. Allait-il se relever ? L’orchestre continua à jouer, et ce moment sembla durer une éternité. Après tout, à 75 ans, ce genre de glissade n’est jamais anodin ! Et puis, ce diable d’homme s’est redressé, il a repris ses esprits, la veste toujours aussi scintillante, et il a continué à faire étinceler cette magnifique soul sortie des eaux comme un vieux galion plein d’or revenue des grands fonds, cette soul gorgée de cuivres, de swing, d’une poésie que l’on croyait disparue avec Otis Redding ou Marvin Gaye. Il y a un peu de tous ces fantômes chez Don Bryant, lui-même fantomatique pendant près de quarante ans. Jusqu’à présent, il n’avait sorti qu’un seul disque, Precious Soul, en 1969, et depuis, il avait disparu. Il avait eu la galanterie de laisser sa femme Ann Peebles prendre toute la lumière, auteur avec elle d’un classique immortel, « I Can’t Stand The Rain ». Peut-être aussi que l’époque ne le prédisposait pas à faire le malin, quand des Al Green, Otis Clay ou Isaac Hayes flambaient un peu partout. Il a donc attendu, se contentant d’écrire pour les autres et de promener son élégance de gentilhomme dans les rues de sa Babylone, Memphis. Seuls certains érudits connaissaient son nom. Et c’est alors que la vague magique l’a ramené au premier plan, au crépuscule de sa vie. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a eu le temps de peaufiner son deuxième album, Don’t Give Up On Love… Cinquante ans ! Cela laisse le temps de soigner les arrangements, d’emballer les chansons, de repasser son costume. Cette fois, il était certain qu’on l’écouterait enfin sur cette allée du cimetière de la soul glorieuse qui a encore vu partir récemment Sharon Jones et Charles Bradley. On trouve dans ce Don’t Give Up On Love, tout ce savoir faire de la belle ville de Memphis, le soleil, des ballades cuisinées dans cette merveilleuse fabrique de sentiments qu’était l’église au temps héroïque, et où le Don n’a jamais cessé de chanter. Il a su garder le grain chaud de sa voix, la brillance des cuivres, la sensualité de l’orgue, préserver la classe éternelle, comme si les clinquants petits marquis noirs de MTV (aller, on ne nommera personne !) n’étaient jamais passés par là. Et nous avons retrouvé ce que l’on aime : la Foi accordée à la musique sans apprêts ni artifices. Le cœur à nu !

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