Sélection Jazz, Blues & Soul 2024
Le 08 janvier 2025, Nicolas Pommaret présentait les coups de cœur Jazz et Blues de l’Académie Charles Cros dans son émission « Au cœur du jazz » sur France Musique.
En plus des Coups de Cœur, un Grand Prix In Honorem à été décerné à Jean-Jacques Milteau, ainsi qu’un Grand Prix du Disque (Blues & Soul) à Jontavious Willis.
Blues & Soul
Fat Cat Silhouette
Oliver Wood
Honey Jar / Indirecto
Derrière cette silhouette de chat dodu se dessine un deuxième album solo des plus attachants, comme l’était déjà “Always Smilin’” (2021). Pétrie live en studio en petit comité, la matière sonore hautement organique est couchée sur bande analogique. Le frontman des Wood Brothers reste fidèle à ce qu’il ressent le mieux, à cette magie de l’interaction saisie sur le vif. Malicieusement ficelé par le sorcier Jano Rix, ici plus percussionniste que batteur, “Fat Cat Silhouette” trace un relief bien à lui. Syncope brinquebalante, chant buriné à dominante country, soul et folk, guitare cabossée en embuscade, basse épaisse, élastique et juteuse à souhait (Ted Pecchio) : tout cela s’emboîte et danse allègrement dès ce Light and sweet qui nous embarque dans sa petite mosaïque d’histoires faites de morceaux de vie. Avec cette voix d’abord escortée par une flûte champêtre et un énorme tambour, Whom I adore rebat les cartes en invoquant un esprit fife & drums inattendu. Quel entrain ! Et quand sax baryton et sousaphone déboulent en renfort, on touche au grandiose. Porté par un groove irrésistible, Yo I surrender transpire aussi le bonheur de jouer ensemble. Et puis ces autres chansons qui grandissent devant nous. Ce délicat Little worries prend son temps, s’accroît et sublime ses mots joliment agencés. Avançant lentement en équilibre précaire, muni d’une guitare griffante et d’un chœur palpitant, Grab ahold dégage une intensité rare. Belle. Poignante. Tout comme Have you no shame, reprise à son mentor Donnie McCormick pour un duo en compagnie de Katie Pruitt. Poignante aussi la manière dont ce Somebody blues suspend le temps pour dépeindre la douleur liée à la perte d’un être cher. Berceuse au coin du feu qui témoigne d’un amour solide, Fortune drives the bus apporte la dernière touche d’un disque si bien dosé. La force d’un enracinement profond qui puise aux meilleures sources et s’épanouit tous azimuts, s’élevant haut en nous enlaçant fort.
Lessons
Seth James
Qualified Records
Avant de parler de musique, nous devons planter le décor : celui d’un ranch au Texas, aux confins du désert. C’est là que le guitariste et chanteur Seth James a grandi, affichant tous les artefacts de la grande culture américaine, le chapeau de cow-boy, les bottes, la veste en jean… Il ne manque plus que le flingue, et le tableau serait complet. « Make America great again » ? Oui, sans doute. Mais pas comme Donald Trump l’entend. Le Texas de Seth a été construit par des hommes qui ont fait de cette région une terre seigneuriale, musicale, sacrificatoire et ont cuisiné des mets plus gourmets que le Buffalo Grill. Seth James possède d’ailleurs un pedigree trois étoiles. On trouve plus haut dans sa lignée un grand-père pianiste et un père batteur. Seth aurait pu continuer à labourer dur, de l’aube à la nuit, mais il a écrit l’héroïque vieille histoire du blues, prendre sa guitare et décamper à la belle étoile. Il passera par la grande école de Nashville, là où on enfile les chansons comme d’autres enfilent les perles. Puis il est rentré au Texas pour entendre souffler le vent sableux dans les canyons et rencontrer sa femme Jessica, une chanteuse qui lui succéda sur une scène de la petite ville d’Antone. Ils se plurent et se marièrent. C’était il y a plus de vingt ans…
Nous pourrions broder sur leur belle romance, mais ce n’est pas le sujet, et la fidélité n’inspire pas (toujours) de bonnes épopées. Nous avions été habitués à l’excentricité des musiciens texans, des guitares flambantes de Stevie Ray Vaughan aux cicatrices de Calvin Russell, moins à un homme qui joue, l’alliance au doigt. La folie offre un meilleur produit marketing, mais le charme n’est pas mal non plus. La séduction que Seth James exerce sur nos oreilles tient à son style, ce va et vient entre la soul romantique et la country plus terrestre. Cette suavité éclaire son troisième album, Lessons, qui vaut à ce fin musicien le coup de cœur de l’Académie Charles Cros. Bien sûr, il s’agit d’un remake comme on dirait au cinéma, puisque Seth James a puisé scrupuleusement dans le répertoire d’un voisin texan, le grand Delbert McClinton et ses récits d’errances, de boissons, de chutes, de Honky Tonkin’ à Victim of Life’s Circumstances… Conservateur bon teint, Seth James offre néanmoins avec Lessons un très joli disque. Il nous plonge dans un confortable bain chaud : Les cuivres coulent comme du miel, les chœurs féminins ressemblent à des sirènes, la guitare électrique crépite tendrement, le piano tintinnabule à souhait, l’orgue arrondit les angles… La musique de Seth James peut tenir à la fois le second et le premier rôle, s’écouter en fond sonore, ou remplir entièrement le salon, avec un volume plus haut. Elle aime autant l’ombre que la lumière, et apporte ce que nous sommes en droit d’attendre d’une précieuse étoffe soul : le bien être.