Voyages en terres imaginaires « Histoires vraies » / de Lucien
suivi de Contre l’inculte qui achète de nombreux livres
Présenter Denis Podalydès revient à parcourir l’histoire récente du théâtre (il est sociétaire de la Comédie-Française où il joue et met régulièrement en scène) et du cinéma (pour Roman Polanski, Christophe Honoré, Noémie Lvovsky, Bruno Podalydès,...). Il a été récemment lauréat d’un Coup de cœur de notre commission pour la lecture de son essai Voix off.
(Re)découvrir la fantaisie des textes de Lucien de Samosate, auteur prolifique du IIe siècle de notre ère, auxquels la qualité de la lecture de Denis Podalydès donne une saveur sans pareille.
« Chers amis,
je vous appelle « chers amis », sans toutefois vous connaître, mais je me suis toujours senti proches de ceux et celles qui s’occupent des livres enregistrés, qui les fabriquent, les diffusent, à travers le temps et l’espace. Je leur dois beaucoup. Je vous dois beaucoup.
J’ai tout écouté de ce qu’on enregistrait entre 1985 et 1995, période où je fus un écouteur quotidien, acharné, de toutes les œuvres littéraires que phonographiaient acteurs et actrices. Il est des enregistrements qui ont eu à mes yeux, à mes oreilles, la même importance que tel grand film, telle grande mise en scène au théâtre.
Très tôt dans cette période si souvent consacrée à l’écoute de disques littéraires, j’ai eu vent de l’Académie Charles Cros, dont j’aimais l’appellation, à cause du sens que le mot « académie » prend à côté du nom de ce poète non-académique, dont le nom de poète, en retour, prend un éclat immortel. C’était le haut lieu de la mémoire sonore, que j’imaginais comme une sorte de palais translucide empli de phonographes et de tous appareils de toutes les époques, où l’on pouvait écouter les voix les plus actuelles comme les plus anciennes. En fait, tout était sonore dans mon esprit, puisque je n’imaginais pas vraiment de lieu ni de visage.
Aujourd’hui, j’aimerais pouvoir découvrir certains de ces visages. Hélas, je ne le peux pas, car je joue à la Comédie-Française en ce moment-même.
En enregistrant de ces textes rares, anciens, délicats, on a toujours l’impression de jeter une bouteille à la mer. On ne sait qui écoutera, ni quand, ni où, et peu importe : on avance dans l’enregistrement, on lit pour les deux personnes qui vous écoutent hic et nunc, et ça suffit pour que le temps de cette lecture, on soit logé tout au fond du texte, dans cette région bienheureuse où la beauté, la drôlerie, l’étrangeté, s’entendent à chaque pas. Je ne connais pas bonheur plus subtil que celui de ces moments d’enregistrement et d’écoute, presque sans pause, dans la pure abstraction du texte, qui coïncide avec sa plus pure concrétude, quand s’est cristallisé l’accord entre texte, lecteur et auditeur.
Des années plus tard, parfois à l’autre bout du monde — ça m’est arrivé —, alors qu’on est très loin de ces heures intimes d’enregistrement, quelqu’un vous dit qu’il vous a écouté la veille, vous restitue soudain un passage du livre, que vous avez complètement oublié, vous ne savez plus rien de ce que votre propre voix a transporté jusqu’à cette personne, elle vous en gratifie, vous la remerciez. La bouteille était donc parvenue à son destinataire inconnu, qui soudain la débouche devant vous. C’est une des plus émouvantes expériences artistiques que je connaisse.
Je remercie bien sûr ma chère Claude Colombini qui m’a proposé d’enregistrer Lucien, ce prodigieux poète qu’il est important de faire connaître.
Je remercie également Nicolas Filicic, qui a eu l’idée de cette publication, Anne-Marie Ozanam, pour sa traduction, les Éditions des Belles lettres, et les Éditions Frémeaux, la plus impressionnante bibliothèque sonore que je connaisse.
Je remercie de tout cœur l’Académie Charles Cros pour ce coup de cœur, c’est un grand honneur et une grande joie que vous me faites.
Toute ma gratitude, ma sympathie et mes plus chaleureuses salutations. »
Denis Podalydès