Prose du transsibérien et de la petite Jeanne de France

Texte de Blaise Cendrars lu par Jean-Louis Trintignant, dessins originaux Enki Bibal, musique Jean-Louis Murat, préface Claude Leroy

D’abord il y a l’objet. Une pochette rigide noire, au format 33 tours. Si le retour au vinyle est à la mode, la publication dans ce format relève de la logique plus que du marketing : texte écrit en 1913, au temps des débuts du disque phonographique 78 tours ; enregistrement de 1990 quand le microsillon rivalisait encore avec le Compact Disc ; valorisation des œuvres de Bilal qui valent bien un grand format.

En lettres rouges, le titre. PROSE DU TRANSSIBERIEN ET DE LA PETITE JEANNE DE FRANCE. Titre mythique, œuvre fondatrice de la poésie moderne, précédée d’un an par Les Pâques (devenues en 1919 Les Pâques à New York), deux œuvres de Cendrars qui incitèrent Guillaume Apollinaire a écrire et publier la même année Zone, dans Alcools , Mercure de France, 1913, souvent considéré comme « le » poème initial de la modernité. A tort.

Au-dessus et en dessous des lettres rouges du titre, au même format, les noms, en blanc, des protagonistes : le diseur, Jean-Louis Trintignant ; l’auteur, Blaise Cendrars ; le metteur en images, Enki Bilal ; le compositeur, Jean-Louis Murat. Beau plateau.

On ouvre et on découvre un livre d’images, 36 pages cousues (excusez du peu), et on reconnaît l’univers personnel d’Enki Bilal, qui, avec ses crayons et pinceaux, après Sonia Delaunay (1913), propose « sa » lecture de l’œuvre du poète bourlingueur. Train filant et fumant noir dans la neige, bouillonnement de couleurs signifiant ce monde en guerre continuel, portrait imaginaire de Blaise, et celui, saisissant, de Je(h)anne, yeux fermés, ou yeux rougis par la violence qui les cerne.
On ouvre, et on découvre le vinyle mais aussi le CD, deux façons d’écouter, pour faire le grand écart temporel.
Et on écoute. Et on découvre une voix que pourtant l’on reconnaît, celle du grand comédien qu’était et restera Jean-Louis Trintignant, dans cet enregistrement inédit de 1990, retrouvé et masterisé à partir d’un enregistrement analogique par l’éditeur Philippe Pierre-Adolphe. Une voix qui nous emmène, au rythme du « broun-roun-roun » des roues du train légendaire mais bien réel et des vers libres comme le vent du poète de la légendaire car jamais retrouvée « Légende de Novgorode », une voix qui nous emmène de Moscou à Karbine, de Tomsk à Irkoutsk, loin « bien loin de Montmartre » pour finalement nous ramener dans la « Ville de la Tour unique du grand Gibet et de la Roue ».
Outre la grande qualité artistique, c’est là un document qu’ont produit les Disques du Maquis, document rare (3 000 exemplaires numérotés) et qu’il faut inscrire dans notre patrimoine sonore.

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