Délits de faciès. Opéra murmuré

D’entrée, la pochette frappe. Un visage, simiesque, de très près. Yeux ouverts pleins de peur ; narines plates dilatées ; bouche béante sur trou noir. Cri muet. Traité en noir et gris. Munch n’est pas loin. Cette œuvre de Jean-Marc Verdier était déjà en couverture du recueil paru en 1989 (éd. Le Dé bleu) et dont la plupart des textes lus ici sont extraits (avec quelques modifications). Ils sont repris pour être, de l’avis du poète, sortis de l’oubli et comme une nécessité de dire : « Rien n’a changé. ». Seulement, le colère avec laquelle ils pouvaient être lus devient ici « opéra murmuré », c’est dire si l’auteur, lecteur de son propre texte, cherche (et trouve) une intimité, une proximité avec l’auditoire, pour faire passer cette colère autrement. Parce que la colère reste, colère de voir cet « univers fiévreux » d’exil, qui crée la misère, la solitude et la violence, « pain au repas quotidien » qui « devient réalité », réalité dans laquelle tentent de survivre ces femmes « débordantes de seins » qui « hèlent l’égaré parmi les cageots éventrés, gonflés de légumes » et des hommes qui habitent « une carcasse de voiture au milieu des dunes », « s’insultent en dose d’alcool, le teint terni d’habitude ». et sont passés « à tabac dans les bras vides de l’existence ». Peu de lumière dans ces textes. Le poète en appelle, en douceur, presque suppliant, au partage d’expérience : « Viens, je t’en prie, glisse-toi dans ma peau. Viens vivre avec ce délit de faciès » quand « la peur insidieuse (…) oblige à regarder le sol », pour prendre la mesure du cynisme des gouvernants « réfugiés au fond de (leurs) palaces » qui savourent « la douce protection des citadelles dans le repos de l’eau où miroitent dans les vasques les images atténuées d’un dehors hideux ».Une solution ? « Si mon passeport offense ta bonhomie, camarade douanier Donne-moi tes papiers, ou tatoue-les-moi sur le front. »

Le compositeur et musicien Arnaud Coutancier propose pour chacun des onze poèmes un voyage différent. Jouant de la rupture d’une mélodie à l’autre, il a su créer un univers qui percute celui de Saïd Mohamed, les plages rythmées alternant avec des pièces aux accents de jazz, d’autres aux échos africains (un chant bambara porté par la voix de Léopold Gnahoré) ou espagnols, ou avec des notes étirées qui soudain explosent. L’étrange aussi s’invite quand la voix du poète se faire langue étrangère entre les mains du compositeur, pour dire le fossé d’incompréhension qui s’est creusé entre le « tout-puissant dieu coprophage maître des ténèbres », « régnant ignorant qui réécrit les mêmes vaines folies » et celui qui « ne demande que du silence en place de vulgarité, lui oppose l’écrit de la poésie et prie que l’on oublie jusqu’au son de (sa) voix. ».

Délits de faciès est soutenu par la Factorie – Maison de la Poésie Normandie

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