Moi, Jean Gabin / de Goliarda Sapienza

Moi qui ai appris de Jean Gabin à aimer les femmes, je me trouve maintenant avec la photographie de Margaret Thatcher devant moi, dans le journal bien entendu, qu’en bonne citoyenne d’après la révolution française j’achète tous les matins, et ai commencé à penser que quelque chose était allé de travers ces trente dernières années de démocratie.

C’est du ton factuel dont on énonce des vérités incontestables qu’Ana Mouglalis nous aspire, par cette première phrase, au cœur du texte de Goliarda Sapienza, Moi, Jean Gabin .
De sa voix grave, rocailleuse, sur un ton presque intime, où l’humour affleure, elle va accompagner les pérégrinations de la très jeune Goliarda dans la Civitas, quartier populaire de Catane, à l’époque mussolinienne, étirant avec langueur les phrases avant d’en précipiter le rythme pour épouser les révoltes ou envolées lyriques de la jeune prodige ou prononcer, avec une intransigeance revendiquée, quelque tirade définitive.
La voix d’Ana Mouglalis, cette voix adulte, modulée, souvent murmurante, délivrant le monologue de cette enfant issue d’une famille recomposée socialiste, livrée à elle-même et à sa fascination pour l’acteur Jean Gabin, crée une mise à distance troublante, incarnant tout à la fois l’enfant Goldarda, l’auteure devenue adulte et Jean Gabin, dont la petite s’approprie l’identité avec une hardiesse désinvolte. On se laisse envoûter par ce texte touchant, drôle souvent, magnifié par la voix d’Anna Mouglalis qui, pour citer Télérama, “ensorcelle de son timbre rauque le texte de Sapienza”.

Cécile Trévian

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