Palmarès 2023


In honorem

Ensemble L’Itinéraire (Musique Contemporaine)

Soucieux de voir jouer une musique contemporaine dégagée des lois du sérialisme des années 1950-60, l’ensemble L’Itinéraire est né en 1973 des desideratae de Roger Tessier et de Tristan Murail. Très vite, trois compositeurs (Gérard Grisey, Michaël Levinas puis Hugues Dufourt), rejoints par une équipe d’excellents instrumentistes et de chefs prestigieux, sont venus conforter le collectif, soutenu par Olivier Messiaen.
Théorisant quelques manifestes devenus historiques, le groupe va petit à petit se complaire dans l’élaboration de la « musique spectrale » tout en embrassant le domaine de l’amplification et de la saturation acoustique, de la « révolution électrique » puis de l’électronique, de la « synthèse sonore » puis du multimédia. Depuis cinquante ans, à la tête d’une discographie convaincante, l’Itinéraire a créé des centaines d’œuvres allant de Giacinto Scelsi à Jonathan Harvey, de Fausto Romitelli à Thierry Blondeau, de Grégoire Lorieux à Didem Coskunseven, de Xu Yi à Carmine Emanuele Cella…
Dès lors, avec un souci permanent d’excellence artistique, l’esprit aventurier de cette phalange (ouvert notamment sur la jeune création artistique) poursuit infatigablement l’exploration minutieuse des franges insolites du « son ». En ce sens, la philosophie de l’ensemble ne cesse d’honorer sa mission dévolue à la pluralité innovante de l’inouï. En dehors de sa collaboration avec l’IRCAM (Paris) et son activité d’action culturelle en région, la renommée internationale du collectif rayonne à présent aux quatre coins de la planète (Allemagne, Autriche, Chine, Colombie, États-Unis, Italie, Suède, Suisse…).

Pierre Albert Castanet

Hélène Dumez (Jazz)

productrice de Paradis Improvisé

14 pianistes, 14CD


Les Grands Prix internationaux du disque

For Mahalia, with love (Jazz)

James Brandon Lewis

Tao Forms / Orkhêstra

Robert Finley (Blues & Soul)

Black Bayou

Easy Eye Sound

L’histoire de Robert Finley est unique… Né en 1954, ce fringant septuagénaire ne s’attendait certainement pas à ce que son nom résonne sur les scènes internationales après des décennies de tentatives artistiques peu fructueuses. Il aura fallu le coup de pouce initial de Tim Duffy, président de la fondation « Music Maker », et l’oreille attentive de Dan Auerbach, leader du groupe « The Black Keys », pour que la voix singulière de ce chanteur inspiré parvienne jusqu’à nos oreilles. En 2015, Robert Finley a 61 ans et cherche à s’épanouir en interprétant des ritournelles, seul à la guitare, dans les rues d’Helena en Arkansas. Son authenticité suscite l’intérêt et convainc quelques interlocuteurs avertis à lui offrir sa chance. Son premier album paraît un an plus tard. Le titre, teinté d’humour, est suffisamment explicite pour déceler le récit que son auteur veut alors écrire. « Age don’t mean a thing » (L’âge n’a pas d’importance). Son aventure musicale débute sur les chapeaux de roues.

Les critiques comme le public acclament ce soulman élancé à l’allure de cow-boy
intemporel. L’académie Charles Cros lui décerne rapidement un premier coup de cœur en 2017, puis un deuxième en 2021. La consécration jaillit aujourd’hui avec ce Grand Prix pour un 4e album, « Black Bayou », enraciné dans les marais de Louisiane. Le blues, la soul, les bottes crottées et la voix délicatement rugueuse de Robert Finley nous transportent sur sa terre natale, là où il vécut sa prime jeunesse bercée par le gospel d’une famille pieuse et ses désirs adolescents de braver l’interdit en écoutant, en cachette, la musique profane des grandes figures d’antan. Cet environnement sonore a façonné sa tessiture et son répertoire nourri d’une existence malmenée mais tellement sincère.

Joe Farmer

Melt (Musiques Expérimentales)

Pali Meursault et Thomas Tilly

Fragments Edition, 2023

Les glaciers fondent. Ça craque, ça grince, ça frotte puis ça goutte, ça flue, ça coule. melt raconte par les sons la vie énorme et infime de quelques glaciers d’Oisans, de Mont-de-Lans à Saint-Sorlin. melt est la rencontre de deux artistes sonores, compositeurs et preneurs de sons, Pali Meursault et Thomas Tilly. Pendant trois années, ils ont arpenté les moraines, les crevasses et les rimayes, posé leurs oreilles appareillées (de micros, d’hydrophones, de capteurs sismiques) sur les glaces, capté leurs mouvements et leurs transformations, leur inexorable fonte – le long souffle texturé sur lequel melt s’achève dit magnifiquement leur silence à venir. L’album est basé sur un concert que les deux artistes ont donné au Grand Théâtre d’Albi en février 2023. Divisé en deux parties, l’une plus proche du field recording, l’autre tendant vers l’électroacoustique (traitements et sons électroniques se mêlent aux enregistrements), il parvient à faire œuvre musicale sans quitter les linéaments de leur objet démesuré.

En écoute

Bastien Gallet

Prozession (Musique Contemporaine)

Ensemble Nikel et Ensemble Musikfabrik, sous la direction de Enno Poppe

Wergo, 2023

Prozession est une œuvre de musique contemporaine du compositeur allemand Enno Poppe. Elle a été créée en 2005 et se présente comme une pièce pour grand orchestre composée de plusieurs mouvements distincts. L’œuvre est caractérisée par son exploration des timbres et des textures sonores, ainsi que par son utilisation de techniques de composition modernes telles que la microtonalité et l’organisation aléatoire des sons. Prozession est reconnue pour sa complexité et sa dense instrumentation, et est souvent décrite comme une expérience immersive et captivante pour les auditeurs.

Enno Poppe naît le 30 janvier 1969, à Hemer (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Il étudie la composition à la Musikhochschule de Cologne, avec Johannes Fritsch, Manfred Stahnke et Karlheinz Stockhausen. Parallèlement à la composition, il entreprend une carrière de chef d’orchestre. Les deux facettes de sa personnalité musicale sont repérées par Pierre Boulez.
Son style est influencé par la culture pop-rock qu’il infuse à la musique contemporaine, aboutissant à une musique plus nerveuse, qui a fait sa célébrité. Les micro-intervalles dont il parsème ses compositions lui permettent de créer de nouvelles sonorités, de nouveaux timbres. Il aime superposer plusieurs motifs rythmiques allant jusqu’à la polyrythmie générant ainsi des textures denses. Il n’hésite toutefois pas à introduire l’aléatoire comme dans Prozession . Il mêle à la lutherie classique la guitare électrique ainsi que l’illustre Fleisch (2017), voire le synthétiseur Moog, dans Prozession. Sa musique se libère de la frontalité de la scène, elle investit tout l’espace de concert, installant l’auditeur au centre, dans un environnement sonore immersif. Sa musique multimodale aime se confronter aux autres arts visuels et théâtraux.

Enno Poppe a reçu de nombreux prix et distinctions pour son travail, dont le prestigieux prix de Composition Ernst von Siemens en 2008.
Il a également été compositeur en résidence dans de nombreuses institutions renommées, telles que l’Ensemble Modern de Francfort, l’Ensemble 2E2M de Champigny-sur-Marne, l’Ensemble Intercontemporain ou l’Orchestre philharmonique de Berlin. Il est régulièrement invité au Festival d’Automne.
Enno Poppe est également connu pour l’expertise de sa pédagogie, il enseigne en effet depuis 1998 la composition à l’Université des Arts de Berlin.
Enno Poppe continue d’élargir le champ de la musique contemporaine et d’ouvrir de nouvelles avenues créatives. Ainsi, dans la note de programme, il écrit : « Les règles et les lois sont faites pour être examinées, révisées, remplacées ou abolies. »
Il est aujourd’hui reconnu comme l’un des plus grands compositeurs de sa génération.

Omer Corlaix


Prix du Président de la République

Elżbieta Sikora (Grand Prix du Président de la République)

L’activité créatrice de la compositrice franco-polonaise Elżbieta Sikora (*1943) s’articule autour de deux pôles : l’univers électronique, d’une part, qu’elle aborde tôt dans sa formation (elle est ingénieure du son avant d’être compositrice) et qui lui donne cette proximité avec le matériau que l’on ressent dans toute sa musique ; le monde de l’écrit d’autre part, et son attachement à une expressivité voire un certain expressionnisme hérité de l’école polonaise, Elżbieta Sikora ayant travaillé dans son pays d’origine avec les grands maîtres de son époque qu’étaient Tadeusz Baird et Zbigniew Rudzinski. Lorsqu’elle vient à Paris pour la première fois, c’est aux côtés de Pierre Schaeffer et de François Bayle qu’elle s’initie aux manipulations de la musique de studio et aux spécificités de la musique concrète. Si elle est installée en France depuis les années 1980, elle n’en garde pas moins des liens forts avec son pays d’origine dont elle reçoit très fréquemment des commandes.
Elle s’est vue confier en 2011 la direction du festival Musica Electronica Nova de Wroclaw dont elle aura la responsabilité jusqu’en 2017. En France, et durant plus de vingt ans (1985-2008), elle enseigne la composition électroacoustique au Conservatoire d’Angoulême. Son quatrième opéra Madame Curie, donné dans les murs de l’Unesco en 2011, la révèle véritablement au public. L’ouvrage magistral, qui invite également l’électronique, vient honorer le centenaire de l’attribution du Prix Nobel de chimie à Marie Sklodowska-Curie (1867-1934), sa compatriote.
Citons encore, parmi ses œuvres les plus attachantes, Lisboa tramway 28 (1998) pour saxophone et électronique, la série des cinq Sonosphères dont chaque pièce convoque l’électronique (la guitare électrique dans Sonosphère V pour orchestre 2019, dédié à Wanda Landowska), et Rouge d’été (2002), une pièce acousmatique des plus radicales dans sa facture.
Quelques cent dix opus s’inscrivent aujourd’hui à son catalogue, entre musique acousmatique, musique instrumentale, vocale et pièces mixtes, la compositrice continuant avec la même énergie à honorer ses commandes. Son dernier CD monographique, qui réunit trois concertos (pour piano, pour orgue et pour violon), témoigne de la vitalité du travail de la compositrice dans tous les domaines de la création sonore.

Michèle Tosi