Nuba Nova
Nuba Nova : un disque déjà culte
Nuba Nova, le titre sonne comme un manifeste.
Comprendre une filiation transgressive avec cette musique classique algérienne, fille du système des noubas, qui donna naissance aux fameuses « écoles » stylistiques de Tlemcen, Alger et Constantine. Des creusets dépositaires des héritages arabo-andalous de Séville, Grenade, Cordoue, constitués entre le VIIIe au XVe siècles au sein de cours royales et de cénacles intellectuels. Musulmans et Juifs, y célébrant l’amour courtois et de l’élan vers le Divin.
Au départ, il y a l’ambition de Mehdi Haddab, artificier franco-algérien de l’oud électrique, de croiser la note et l’inspiration avec Cheikh Hamdi Benani, maître du malouf annabi, grandi dans une famille riche d’artistes (un père peintre ; un oncle et un arrière grand-père, pointures du malouf), digne humaniste de la cité de Saint-Augustin, El Ghriba et Sidi Bou Merouane. Affaire de curiosité, d’intuition. Une rencontre suscitée par David Queinnec, alors directeur l’Institut français d’Annaba, favorise le projet.
Les deux musiciens sont vite sur la même longueur d’onde. « Ca a tout de suite matché entre nous » en convient le fondateur de Speed Caravan. Lui restait à choisir les pièces pouvant susciter une relecture audacieuse d’un legs. Cette ambition n’est pas pour déplaire au cheikh, féru d’impro et cinéphile fan d’Eddie Constantine. Au long de sa carrière n’a t’il pas endossé le costume de rénovateur et défrisé certains « puristes » ? Un choix est fait, mosaïque de morceaux classiques plutôt instrumentaux, de pièces courtes, de chansons, et d’une longue suite choisie pour sa temporalité. L’enjeu ? Trouver des propositions, des alliages sonores inédits, relire un répertoire patiné, en quelque sorte lui conférer une nouvelle attractivité. Un travail de reformulation auquel « L’Ange blanc du malouf » (en référence à son costume et son violon blancs) donne son aval avant qu’une tournée en Algérie n’éprouve la pertinence du tout. Le projet d’un disque suit naturellement. L’équipage embarqué est de haute tenue. Hamdi Benani est entouré de musiciens dans lesquels il a confiance. Pour sa part Mehdi Haddab amène des complices habitués à ses prises de risques. L’esprit du malouf peut dès lors s’exprimer. Et de fait, dans cette alliance il respire, prend ses aises, adopte des couleurs pop, s’offre des riffs bluesy, bref une contemporanéité.
« Hosn el Habib » (Le charme de l’être aimé) ouvre l’album. Dans les années 70, Hamdi Benani avait déjà interprété cette chanson sentimentale selon une version « moderne », avec orgue Hammond et batterie. Y voir clairement un hommage sans nostalgie à « Bône la coquette » et sa célèbre douceur de vivre. Le morceau se concluant par petit clin d’oeil à Peter Frampton avec un « Oud Talk Box » selon un maqam Bayati. Suit « Ya nas jaratli gharaib », chanson populaire revisitée selon un arrangement rock qui adopte un accent celtique à la Idir. Avec « « Nemdah ouen ghoul », autre chanson fétiche, c’est clairement du côté d’Hendrix qu’on s’oriente. Ce hors-d’œuvre ouvrant sur « « Damai Jara » ( Mes larmes ont coulées), cœur de l’album. Cette pièce ample magnifiée par les grands représentants du genre dont Mohamed Taher Fergani et Raymond Leyris étant le terrain d’envol idéal pour une de ces performances psychédéliques énivrantes dont Mehdi Haddab a le secret, secondé ici par le slide d’un Serge Teyssot-Gay. Tout cela dans un respect scrupuleux de l’hétérophonie typique de la musique andalouse et de sa structure mélodique. Après ce morceau de bravoure « Jani Ma Jani », titre phare du cheikh, est cette fois chanté également par son fils. Y voir comme une passation de pouvoir ? Suit « Istikhbar Cheikh, L’inquiétant prélude », thème improvisé, qui introduit « Achek Mamhoun » (Je t’aime comme un fou). Soit la chanson d’amour avec un grand A, théâtralisée comme on l’aime de l’autre côté de la Méditerranée ! « Kursi Zidane », pièce classique instrumentale sur le mode Zidane, concluant façon Speed Caravan, c’est à dire échevelée, cet album étonnant. Un album qui l’est d’autant plus qu’un terrible évènement a suivi ces enregistrements. Hamdi Benani, cet ambassadeur jovial et humble du Malouf qu’il avait fait voyager à travers la planète (séduisant Mao Tse Toung, Castro, Senghor ou le public de la Sorbonne) s’en est allé à 77 ans, victime de la Covid. L’auteur de Bellah Ya Hamami ayant reçu peu de temps auparavant un vibrant hommage du Ministère de la culture algérien au Palais de la Culture et ayant été décoré des insignes d’officier des Arts et Lettres par la France. Une disparition qui fait de ce disque un album culte rappelant la jeunesse d’esprit d’un musicien toujours à l’écoute des autres. Un disque qui fait écho à ses propos quand d’aucuns, jadis, avaient réprouvé ses audaces orchestrales : « Ils croyaient que je touchais aux noubas, ce qui n’est pas le cas dans la mesure où je m’inscris dans le classique qui obéit aux règles qu’on n’a pas le droit de toucher ». Ajoutant : « Je leur ai dit que vous trompez, Messieurs, car un jour, vous serez d’accord avec moi ! ». Comme si la vie, lui avait donné raison.