Sélection Jazz, Blues & Soul 2020
Les Coups de cœur Jazz, Blues & Soul sont proclamés sur France Musique le 5 février 2021, de 18h à 19h, dans l’émission Open Jazz d’Alex Dutilh.
Comme chaque année, ces Coups de cœur reflètent quelques-unes des productions discographiques les plus marquantes de l’année écoulée. En 2019, le panorama s’étendait de Terry Lyne Carrington à Marc Ducret en passant Hugo Lippi, Andy Emler-Dave Liebman, Larkin Poe ou Leyla McCalla. Le millésime 2020 réservera encore de belles surprises, avec des artistes de générations et de styles différents, mais tous exceptionnels par leur talent et la qualité de leur parution 2020.
Et, comme chaque année, parmi les Coups de cœur seront choisis les Grands Prix Jazz, et Blues & Soul, qui seront remis, ainsi que des Prix in honorem, lors d’une cérémonie qui se déroulera au cours des semaines suivantes. En 2019, les lauréats des Grand Prix étaient Simon Goubert (« Nous Verrons... », Ex-Tension Records/Bertus Distribution) et Leyla McCalla (« The Capitalist Blues », Jazz Village / PIAS).
Une sélection proposée par le groupe Jazz, Blues & Soul :
Philippe Carles, Alex Dutilh, Joe Farmer, Stéphane Koechlin, Arnaud Merlin, Jacques Périn (coordinateur Blues&Soul), Nathalie Piolé, Xavier Prévost (coordinateur Jazz), Jean-Michel Proust, Nicolas Teurnier, Daniel Yvinec, Alain Fantapié (Président de l’Académie Charles Cros)
Coups de Coeur Jazz, Blues & Soul 2020
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L'actualité des Coups de cœur
Jazz
Ambrose Akinmusire
On the tender spot of every calloused moment
Blue Note / Universal
Le trompettiste est un habitué des palmarès de l’Académie Charles Cros : Grand Prix Jazz 2011, Coup de cœur Jazz 2017....
D’une certain manière, ce nouveau disque est un opus de mélancolie autant que de combat (mais un combat qui n’étoufferait pas la musique).
De retour dans sa ville d’Oakland après de longues années passée à New York et à Los Angeles, il prend conscience des changements survenus, alors que la population afro-américaine a été majoritairement remplacée par des habitants à la situation matérielle plus confortable, et qui semblent tout ignorer du passé et de la culture de cette ville.
De cette conscience des mutations intervenues, le trompettiste-compositeur va tirer, pour exprimer l’âpreté de chaque calloused moment, une suite de paysages musicaux, aussi expressifs que sophistiqués, sans que jamais l’évidence artistique ne soit altérée par une quelconque bouffissure.
Bref c’est du (très) Grand Art, une œuvre cohérente où se disent une sourde colère métamorphosée en allégorie de combat, et une analyse fine d’une réalité ’socio-culturalo-poétique’ transformée en pure émotion musicale. On est littéralement happé par l’urgence du propos, et la cohérence des formes, sans que jamais l’abstraction n’efface la chair et le sang qui composent, autant que le corps du musicien, le cœur de la musique.
Samuel Blaser - Marc Ducret
Audio Rebel
Blaser Music / https://samuelblaser.bandcamp.com/album/audio-rebel
Pour inaugurer une série de nouveaux albums, le tromboniste Samuel Blaser publie un enregistrement issu de sa tournée brésilienne en duo avec le guitariste Marc Ducret voici près de 7 ans.
Les deux musiciens avaient alors déjà plusieurs années de collaboration, dont des traces sur CD. Avec ce duo, enregistré dans un studio (le bien nommé Audio Rebel....) qui est aussi un lieu de concert, c’est le triomphe du premier jet, comme un manifeste inscrit sur le fil du rasoir....
Dès la première plage, la musique sort des limbes pour se déployer dans un échange torride, où la vive intelligence musicale et le goût du risque sont en constant dialogue.
Difficile de dire où s’établit la frontière entre l’écrit et l’improvisé (d’ailleurs, y a-t-il une frontière ? En est-il besoin ?). C’est dans ce genre de circonstance que le chroniqueur prend (reprend) conscience du fait qu’il est difficile de rendre compte, par la tentative (forcément vouée à l’échec) de décrire tout ou partie de la musique, ou de son déroulement, de ses accidents magnifiques, de ses saillies et de ses plages faussement apaisées. Bref étonné, conquis, émerveillé et transporté je fus, et demeure, à l’écoute de cette aventure sonore : indubitablement une Œuvre à part entière.
David Linx
Skin In The Game
Cristal Records / Sony Music
La quarantaine rugissante !
Pour marquer ses 40 ans de carrière (l’impatience a commencé très tôt…), le chanteur David Linx opère une magistrale remise en jeu autour de deux idées fortes : partir de la page blanche d’un répertoire entièrement original et s’entourer d’un groupe où chacun a la dimension et l’expérience d’un leader.
Sur le premier point, onze chansons dont il est l’auteur, ainsi que le compositeur dans la plupart des cas. Une cambrure mélodique bien spécifique qui met en lumière son aisance à fluidifier les sautes de registre, à assembler voix de tête et voix de poitrine en une seule couleur. Avec un grain subtilement voilé, une signature qui appelle un plissement des yeux, une complicité, celle du naturel qui s’impose avec le temps.
La couleur musicale s’affiche résolument acoustique. Au centre, un trio piano-contrebasse-batterie – Gregory Privat, Chris Jennings, Arnaud Dolmen – dont la cohésion et la dynamique enchantent par une touche aérienne de l’assise rythmique. Avec au passage quelques solos de piano à tomber…
Ils sont rejoints sur la moitié des titres par la guitare électrique d’un Manu Codjia procédant par touches chambrées, parfait dans le rôle du coloriste de luxe et à deux reprises par le slam de Marion Moore.
Sans hésitation, l’album de jazz vocal de l’année.
Nduduzo Makhatini
Modes of Communication: Letters from the Underworlds
Blue Note / Universal
En janvier 2020, il fut l’une des plus cinglantes révélations du WinterJazz Fest à New York.
Dans la foulée d’une prestation majuscule, toute en lyrisme échevelé, le pianiste et compositeur sud-africain Nduduzo Makhathini allait confirmer avec cette première apparition sur le prestigieux label Blue Note.
Un casting sud-africain, pour assumer l’héritage de la spiritualité profonde de ceux passés dans l’au-delà, augmenté du saxophoniste américain Logan Richardson. Nduduzo, qui se définit comme musicien, éducateur (il enseigne à l’Université Fort Hare dans le Easter Cape) et guérisseur – à l’instar de sa grand-mère – livre là un album au mysticisme fiévreux.
Si l’influence de McCoy Tyner est palpable, notamment pour une incitation à la transe, Nduduzo Makhathini doit surtout à son mentor sud-africain Bheki Mseleku et ses deux compatriotes Moses Molelekwa et Abdullah Ibrahim.
Du côté des pianistes américains, il avoue son admiration pour des trajectoires singulières, celles d’Andrew Hill, Randy Weston et Don Pullen.
En 2014, avec son épouse la vocaliste Omagugu Makhathini, il avait fondé son propre label, Gundu Entertainment, pour enregistrer pas moins de huit albums.
C’est en 2019, après une apparition au New Orleans Essence Festival, qu’il débarqué au club Blue Note de New York. Don Was, le directeur artistique du label l’y repère immédiatement.
Dans la foulée, lorsque Shabaka Hutchings s’entoure de musiciens sud-africains pour constituer le groupe The Ancestors et enregistrer « Wisdom of Elders » pour Impulse, Nduduzo s’est naturellement retrouvé au piano. Une famille musicale. C’est d’ailleurs Shabaka qui signe le texte du livret.
Pas étonnant tant leur démarche est parallèle : servir de messager entre les divinités des ancêtres sud-africains (underworld) et un dieu que chacun est libre de se choisir. Un spiritual jazz d’une sincérité vibrante.
Benjamin Moussay
Promontoire
ECM / Universal
Tôt repéré au sein des meilleures formations hexagonales, Benjamin Moussay (né en 1973) a su de longue date imposer sa marque auprès de nombreux aventuriers, parmi lesquels Daniel Humair, Louis Sclavis, Youn Sun Nah, Airelle Besson ou Marc Ducret. Sous son nom, le pianiste cède volontiers au charme de l’improvisation en tandem avec Claudia Solal, quand il ne construit pas une œuvre au long cours, nourrie du patrimoine du trio piano-contrebasse-batterie.
En solo pour la première fois, Benjamin Moussay atteint ici des sommets aussi vertigineux que son amour de la montagne.
Il n’est pas interdit d’y déceler quelques ombres secrètement convoquées : Michelangeli et Arrau à l’adret, Monk et Jarrett à l’ubac. Loin des multiples claviers dont il est un spécialiste incontesté, et en toute confiance avec Manfred Eicher, le producteur d’ECM que lui a présenté Sclavis, Benjamin Moussay signe avec « Promontoire » une quintessence du piano solo, à la fois longuement mûrie et livrée dans une saine urgence.
Vincent Peirani - Emile Parisien
Abrazo
ACT / PIAS
L’accordéoniste Vincent Peirani et le saxophoniste Emile Parisien se connaissent si bien, ont tellement joué ensemble, qu’ils peuvent s’appuyer sans crainte l’un sur l’autre, s’entrainant, s’attirant, se devinant comme un vrai couple de tango.
Depuis leur rencontre en 2010 au sein du quartet du batteur Daniel Humair et cette opportunité, lors d’un concert en Corée, d’improviser à deux, ces frères d’âmes ont croisé le fer sur plus de 1000 concerts dont 600 en duo, même maîtrise instrumentale confondante, même goût du risque dans l’improvisation, même engagement radical dans la musique, jusqu’au vertige…
Leur premier opus en duo, « Belle Epoque », un hommage à Sidney Bechet en 2014, les a instaurés comme le couple musical majeur de la décennie. « C’est comme un mariage, dit Peirani, avec des hauts et des bas, mais rien de plus normal !! Mais en ce moment, nous avons très envie de jouer ensemble ».
La clé de ce disque tient en son titre : « Abrazo », étreinte. Tantôt enlacement de sa partenaire de danse, tantôt accolade fraternelle. « Abrazo » s’inspire non pas de l’œuvre d’un compositeur mais d’une forme d’art, d’une culture : le tango, son élégance, sa mélancolie et sa puissance rythmique et mélodique.
Comme pour leur premier duo, Peirani et Parisien ne jouent pas le matériel des originaux, mais ils en jouent. C’est cette curiosité sans limite, ce désir de grandir ensemble et de gravir des échelons toujours nouveaux qui soudent ce duo et le rendent si unique.
Sylvain Rifflet / Jon Irabagon /Sébastien Boisseau / Jim Black
Rebellion(s)
BMC / Socadisc
Inspiré par des figures historiques qui toutes symbolisent une forme de rébellion, Sylvain Rifflet organise, en compagnie de Jon Irabagon, Sébastien Boisseau et Jim Black, une vivifiante et nécessaire rencontre entre musiques et textes, qui souvent se confondent. Le parlé se mue naturellement en musique, autour de textes d’olympe de Gouge, André Malraux, Greta Thunberg, Emma Gonzalès ou Paul Robeson.
L ‘intelligence et l ‘humanité qui sous -tendent cet album nous laissent imaginer que la musique peut toucher, avec justesse, la question humaine et sociale, donner un sens positif et universel à une forme indispensable de lutte et de résistance. Un acte rare.
Maria Schneider
Data Lord
ArtistShare / www.artistshare.com
Maria Schneider est une artiste qui avance et entreprend. Sa vision artistique et citoyenne nous laisse deviner une compréhension du monde en dehors des chemins étroits, inspirée et inspirante.
Déçue des faibles droits perçus lors de son séjour sous les auspices du label Enja, elle opte pour une option novatrice en collaborant avec la plateforme Artist share dès 2004.
Se connecter plus directement avec ceux qui soutiennent sa musique, une sorte de circuit-court entre l ‘artiste et son public, voilà l ‘idée.
Qui deviendra quelques années plus tard, une nouvelle norme.
Par ailleurs, et c ‘est finalement le plus important, Maria Schneider est une compositrice hors pair. Eblouie par les couleurs de ses mentors Bob Brookmeyer et Gil Evans, elle sait vite fréquenter d’autres mondes pour s’en affranchir, comme celui de la musique classique, allant jusqu’à dédier à Dawn Upshaw Winter Morning Walks, une de ses œuvres les plus touchantes .
Sa collaboration avec David Bowie ( Sue, Or in a Season of Crime, dans l’album « Nothing Has Changed ») a ouvert une autre porte à un esprit curieux et audacieux ; elle lui a permis d’aborder une face plus sombre d ‘elle-même, parfois prégnante sur « Data Lords », un fascinant double Album, peut-être son plus personnel, et un objet en tous points remarquable.
Christian Scott a Tunde Adjuah
Axiom
Ropeadope / https://christianscott.bandcamp.com/album/axiom
Mars 2020.
Pas la fin du monde, mais presque.
Quelques jours avant le confinement, Christian Scott aTunde Adjuah donne une série de concerts au Blue Note de New York. Petit-fils de Big Chief, Chief à son tour, le trompettiste chérit ses racines de la Nouvelle Orléans, mais c’est vers le futur qu’il regarde.
C’est un chercheur, un penseur, un expérimentateur : chaque concert, pour lui, est un moyen de partager ses travaux en cours. D’album en album, son propos musical s’est précisé. Au terme “jazz”, il préfère celui de “stretch music” : un jazz ouvert à toutes les tribus, qui s’étire (stretch), s’étend, embrasse tous les genres, tous les âges, et qui compte bien marquer le 21e siècle. Voilà le jazz qu’il défend, sur scène, dans une luxuriante déferlante d’idées, d’expérimentations, de propositions.
Avec son souffle moderne, ce son de trompette qu’il colore, il transforme, travaille sans cesse, tisse ces tapis de percussions tribales, fondues dans des rythmiques électro, trap, traversées par la flûte aérienne d’Elena Pinderhughes, et le piano pugnace de Lawrence Fields. Même générosité, même abondance de créativité dans cette tribu de musiciens qu’il rassemble depuis de longues années, avec laquelle il démontre, obstinément, que toutes les explorations sont encore possibles.
Yes Chief.
Martial Solal – Dave Liebman
Masters in Paris
Sunnyside / Socadisc
Deuxième volet, chez Sunnyside, des rencontres entre le Maître pianiste et le Maître souffleur. Le premier volume, « Masters in Bordeaux », avait également été capté en concert, deux mois avant celui de Paris, non à Bordeaux mais à Sauternes.
Ces deux grands Artistes qui travaillent comme des Artisans d’Art, refaçonnant l’objet avec chaque fois le supplément d’âme et de créativité qui de l’objet fait une Œuvre. L’aventure avait commencé en décembre 2015 à Paris, au Sunside. Et ce concert d’octobre 2016 au mythique studio 104 (dont Martial est un habitué, et qui accueillit naguère Monk, Bill Evans, Dizzy Gillespie, John Lewis, et tant d’autres), aura été la sublime conclusion d’une année de collaboration entre ces deux très grands musiciens.
Le répertoire est majoritairement composé des ces standards qui nourrissent l’imaginaire du jazz depuis un siècle, mais la surprise surgit à chaque mesure. Bref, ne tournons pas autour du pot : c’était un Grand concert donné par de Grands musiciens, c’est de la grande musique, et un GRANDDISQUE !
Blues & Soul
Don Bryant
You Make Me Feel
Fast Possum Records / Sony
En 2022, le chanteur afro-américain Don Bryant fêtera son 80e anniversaire. Sa voix frissonnante est aujourd’hui l’écho d’une destinée unique qui épousa le quotidien de la communauté noire aux États-Unis dès les années 60. À Memphis (Tennessee) où il naquit le 04 avril 1942, la Soul-Music trouvait un auteur prolixe dont les œuvres nourrissaient le répertoire des grands interprètes d’alors. Plus de 150 chansons signées par Don Bryant sont entrées dans le patrimoine populaire américain dont le classique « I can’t stand the rain », immortalisé en 1973 par son épouse Ann Peebles et adapté, dix plus tard, par Tina Turner. Tandis que les étoiles de l’art vocal se délectaient des œuvres d’un fécond parolier, l’intéressé devait accepter ce statut étriqué qui ne lui permettait pas d’exister dans le feu des projecteurs. En dehors d’une première tentative discographique en 1969 intitulée « Precious Soul » pour le fameux label Hi Records, Don Bryant dut patienter des années, des décennies, pour qu’une occasion de faire entendre sa tonalité puissamment veloutée se présente. En 2017, sous l’impulsion du producteur et multi-instrumentiste Scott Bomar, il peut enfin révéler toute l’étendue de son expressivité à travers « Don’t give up on love », un album chaleureusement accueilli par le public et la critique. Fort de ce succès, pourtant tardif, Don Bryant enfonce le clou en 2020 en faisant paraître « You make me feel ». La maturité artistique d’un fringant septuagénaire aguerri saute aux oreilles. Une humeur gospel irrigue la musicalité de ces dix somptueuses mélodies. Don Bryant n’est plus dans l’ombre de ses héros. Il frétille, il brille, il scintille !
Fantastic Negrito
Have You Lost Your Mind Yet ?
Cooking Vinyl / PIAS
Un troisième album survolté. Sous son avatar fièrement provocateur, Xavier Dphrepaulezz se soucie toujours peu d’arrondir les angles. Sa fureur punk et son urgence blues trouvent ici un terreau propice à leur folle expansion : un funk colossal conçu avec ses fidèles complices de studio. L.J. Holoman et son orgue juteux, Cornelius Mims et sa basse mastodonte, Masa Kohama et ses saillies de guitare qui répondent aux riffs cabossés du patron… Sous la déferlante sonore qui l’assaille dès le bondissant Chocolate samurai, l’auditeur trouvera des nuances insoupçonnées de prime abord et un message fort, un appel à se dépasser, à vaincre les barricades de nœuds érigées dans nos cerveaux ultra sollicités. En s’inspirant du vécu de certains de ses proches, le trublion d’Oakland place son album sous le signe de la santé mentale et confirme la pertinence de sa démarche. Son chant écorché ne s’encombre pas de filtre, il empoigne, soulève, tonne, frissonne, galvanisé par un essaim de handclaps ou un bataillon de hummings, prêt à en découdre le long d’une série de compos qui sont autant de coups de pied dans la fourmilière de l’ennui. Cet homme a su faire de sa renaissance artistique un combat haletant qui se révèle être un puissant guérisseur de maux.
Son Little
Aloha
Anti-The Orchard
La douce ivresse d’un refrain imagé, un piano qui tangue dans les graves, un silence béant qui suspend une phrase… Ces petits passages, ces instants intenses qu’on attend de savourer à chaque nouvelle écoute, “Aloha” en fourmille. « Plus sombre et plus lumineux », nous prévenait Aaron Livingston alors en plein chantier de ce troisième album. On entend maintenant ce qu’il a voulu dire. Le Californien n’a pas changé la recette de sa soul bosselée, il a trouvé une belle manière d’en étendre l’amplitude. C’est la première fois qu’il partage les rênes de l’aventure Son Little : un coup de maître tant l’approche finement minimaliste et intuitive du producteur parisien Renaud Letang sied à son univers peuplé de vibrations galvanisées par un subtil jeu de textures. Ces zébrures de guitares, ces synthés cabossés, ces rythmiques mates qui battent comme un cœur, ce chant habité d’un souffle ardent… Et puis, toujours, cette gestion de l’espace si judicieuse. Conçu dans l’intimité apaisante du Studio B de la maison Ferber, “Aloha” puise une sacrée force dans la beauté de son relief sonore qui à chaque instant nourrit des chansons pleines de vie. On respire, on plonge, on refait surface. Côté lumière, il y a ces titres aux noms de muses et leurs rebonds euphorisants. Côté ombre, il y a ces lentes traversées en forêt deep soul. Mais en fait le clair-obscur est omniprésent, créant une ambivalence troublante et terriblement touchante. “Aloha” signifie beaucoup de choses, notamment l’art de cultiver la nuance à la croisée des chemins.
In Honorem Jazz
Maria Schneider
à l’occasion de la publication de « Data Lord » (ArtistShare / www.artistshare.com), pour l’ensemble de sa carrière, la singularité et l’indépendance de sa démarche, tant pour la constitution, l’extrême qualité et la pérennité de son orchestre, que sur le plan de la diffusion, notamment parce qu’elle a été pionnière dans la démarche du financement participatif et de la commercialisation directe des disques via la plateforme ArtistShare.
Maria Schneider est une artiste qui avance et entreprend. Sa vision artistique et citoyenne nous laisse deviner une compréhension du monde en dehors des chemins étroits, inspirée et inspirante.
Déçue des faibles droits perçus lors de son séjour sous les auspices du label Enja, elle opte pour une option novatrice en collaborant avec la plateforme Artist share dès 2004.
Se connecter plus directement avec ceux qui soutiennent sa musique, une sorte de circuit-court entre l ‘artiste et son public, voilà l ‘idée.
Qui deviendra quelques années plus tard, une nouvelle norme.
Par ailleurs, et c ‘est finalement le plus important , Maria Schneider est une compositrice hors pair. Eblouie par les couleurs de ses mentors Bob Brookmeyer et Gil Evans , elle sait vite fréquenter d’autres mondes pour s’en affranchir , comme celui de la musique classique , allant jusqu’à dédier à Dawn Upshaw Winter Morning Walks , une de ses œuvres les plus touchantes .
Sa collaboration avec David Bowie ( Sue , Or in a Season of Crime, dans l’album « Nothing Has Changed ») a ouvert une autre porte à un esprit curieux et audacieux ; elle lui a permis d’aborder une face plus sombre d ‘elle-même , parfois prégnante sur « Data Lords », un fascinant double Album, peut-être son plus personnel , et un objet en tous points remarquable.
In Honorem Blues & Soul
Lucky Peterson
pour son rôle dans la popularisation du blues en France, de 1992 à sa récente disparition, à l’occasion de la sortie de « 50 – Just Warming Up ! » (Jazz Village/PIAS)
Lucky Peterson avait été reçu par Alex Dutilh dans l’émission Open Jazz sur France Musique le 27 avril 2018.