Sélection Jazz, Blues & Soul 2021
Les Coups de cœur Jazz, Blues & Soul sont proclamés sur France Musique le 17 décembre 2021, de 18h à 19h, dans l’émission Open Jazz d’Alex Dutilh.
Et, comme chaque année, parmi les Coups de cœur sont un choisis les Grands Prix du Disques 2021 Jazz, et Blues & Soul., ainsi que cette année à nouveau un Prix In Honorem 2021 :
- In Honorem Blues : Bruce Iglauer à l’occasion de la parution des 50 Years of Genuine Houserockin’ Music
- Grand Prix Jazz : Edward Perraud pour Hors Temps
- Grand Prix Blues & Soul : Cedric Burnside pour I Be Trying
Les Grands Prix de l’Académie Charles Cros 2021 sont ici.
Une sélection proposée par le groupe Jazz, Blues & Soul :
Philippe Carles, Alex Dutilh, Joe Farmer, Stéphane Koechlin, Alice Leclercq, Arnaud Merlin, Jacques Périn (coordinateur Blues&Soul), Nathalie Piolé, Xavier Prévost (coordinateur Jazz), Jean-Michel Proust, Nicolas Teurnier, Daniel Yvinec.
Jazz
Airelle Besson
Try !
Papillon Jaune / l’autre distribution
Le retour du groupe de l’album « Radio One », enregistré en 2015 avec Isabel Sörling, Benjamin Moussay et Fabrice Moreau. On ressent ici le bénéfice de l’expérience produite par de nombreux concerts. Et toujours cette atmosphère où se mêlent des rêves de chansons sophistiquées, des impressions furtives d’évasions hors du cadre, et la constance de deux chants : celui de la trompette, limpide et droit ; et celui d’une voix plus troublée que trouble, riche de mille frémissements, et qui porte dans ses envols maîtrisés ce qu’il faut d’incertitude pour nous rappeler que l’expression est bien là. D’un thème à l’autre, la simplicité peut faire place à une grande sophistication musicale sans que jamais le chant ne se dérobe. Claviers et batterie jouent le jeu de cette atmosphère qui va d’une joyeuse insouciance pop à d’insondables profondeurs mélancoliques. Bien des plages sont autant de petites fictions où le cadre va changer, d’un plan à l’autre, d’une phrase à l’autre, faisant évoluer en moins de quatre minutes ce que l’on aurait cru ritournelle vers une forme mouvante. Beau travail d’Airelle Besson et de ses fidèles partenaires sur ce que peut être un disque entendu comme un récit pluriel, un objet ductile qui trompe nos repères et nos certitudes.
Vijay Iyer - Linda May Han Oh - Tyshawn Sorey
Uneasy
Universal
Un nouveau trio du pianiste, et un disque surprenant : presque classique, entendez le classicisme du trio de jazz moderne (équilatéral, interactif, fondé sur l’écoute mutuelle), et pourtant pétri des libertés musicales qui ont accompagné le parcours de Vijay Iyer depuis ses débuts phonographiques au côté de Steve Coleman, voici plus de 25 ans. Le disque est porté, tout à la fois, par une grande ambition esthétique et par un désir de rester en phase avec le monde tel qu’il est, en l’occurrence la dure réalité états-unienne, avec ses démons immémoriaux qui briment les minorités. La première plage, Children of Flint, est à cet égard, très révélatrice : le pianiste évoque les enfants de cette ville, non loin de Detroit, où les problèmes sanitaires et sociaux mettent à mal la jeunesse afro-américaine, son intégrité et son avenir. Rien qu’une évocation, mélange de mélancolie et d’énergie. Pas un manifeste, juste une création musicale mue par le sens, un sens qu’elle n’expose pas, mais dont elle suggère la teneur, entre tensions et mouvement. Le thème suivant, Combat Breathing, avait été composé pour accompagner une intervention au moment de la première vague du mouvement Black Lives Matter, en 2014. Les thèmes du pianiste sont le fruit de vingt années de composition, ici rassemblés en une œuvre originale qui accueille aussi une version hardie et très renouvelée de Night and Day de Cole Porter, et Drummer’s Song, un thème de Geri Allen qui fut pour Vijay Iyer tout à la fois un mentor et une collègue bienveillante. Toutes les compositions mettent en jeu l’énergie, et la recherche d’une densité rythmique qui porte et emporte les lignes mélodiques comme les choix harmoniques. Ce trio est d’un vigueur et d’une pertinence musicales impressionnantes. Augury, plage méditative en solo qui sollicite toutes les ressources de l’instrument, complète ce formidable ensemble.
Samara Joy
Samara Joy
Whirlwind Recordings / Bertus
Une voix chaude et douce comme la soie, une diction d’une grande clarté, une expressivité sans surjeu : la New-Yorkaise Samara Joy [McLendon] attire la lumière avec son premier album éponyme. Désarmante de maturité à 21 ans, elle livre, après avoir remporté la Sarah Vaughan International Jazz Vocal Competition en 2019, une collection d’arrangements de standards avec le soutien du guitariste virtuose Pasquale Grasso qui réunit le contrebassiste Ari Roland et le légendaire batteur Kenny Washington. Petite-fille et fille d’artistes gospel accomplis, Samara grandit avec la musique. Lycéenne, elle rejoint la chorale de son église. C’est à l’université dans le programme de jazz du Purchase College de l’Université d’État de New York - où enseignent Grasso et Kenny Washington - qu’elle affirme son orientation musicale. Sarah Vaughan est une influence primordiale pour la jeune chanteuse, tout comme Fitzgerald. Nul besoin que la musique soit particulièrement innovante : la fraicheur de Samara Joy, son approche naturelle et confiante, soutenue par l’interprétation simple et directe du trio, dégagent un charme irrésistible.
Vincent Lê Quang
Everlasting
La Buissonne / PIAS
Dès les premières notes de piano (Bruno Ruder), le sortilège est là. Les tambours (Joe Quitzke), sollicités par des mailloches, font entendre le mystère. Les graves de piano, étouffés avec la main confirment, cette magie noire. La basse (Guido Zorn) rôde et le soprano (Vincent Lê Quang) fait son entrée de velours. En moins d’une minute on sait que l’on entre dans une intensité musicale au sommet. Éternelle comme le suggère le titre ? Pourquoi pas. Une entrée dans un univers de très grande musique. Libre, émancipée des codes et langages, tout entière contenue dans l’évidence de la forme et la sensualité du son. Tout semble ici reposer sur la connivence tissée par ces musiciens depuis 12 ans. C’est à la fois une navigation à vue et une imparable vision du but à atteindre : c’en est fascinant. Une œuvre magistrale.
Pierrick Pédron
Fifty-Fifty, New-York Sessions
Gazebo / l’autre distribution
Le premier volet, états-unien, d’un projet transatlantique voulu par le saxophoniste pour fêter son demi-siècle. 50 ans : l’âge de l’absolue maturité pour ce musicien qui a tracé sa voie depuis maintenant quelques décennies, manifestant son excellence dans les différentes obédiences de cette musique polymorphe que l’on appelle ’Jazz’. Avec des orfèvres du jazz d’Outre-Atlantique (Sullivan Fortner, Larry Grenadier, Marcus Gilmore), il nous offre une sorte de manifeste, un cri d’amour-passion pour cette musique. La volubilité de ses improvisations, la folle énergie de ses phrases, et le formidable sens mélodique dont il fait montre, tout cela nous invite à penser que nous sommes en présence d’un Maître du saxophone alto, et du jazz.
Edward Perraud
Hors Temps
Label Bleu / L’Autre distribution
Grands Prix du Disque Jazz 2021
Hors sol ? Hors piste ? Hors la loi ? Autant de titres de compositions que l’on retrouve dans l’album d’Edward Perraud, tout sauf hors tempo. Mais le titre le plus à même de rassembler toutes les atmosphères évoquées par le trio serait Flower of Skin.
D’abord pour son sens premier, « à fleur de peau », qu’il faut prendre au pluriel des peaux des tambours. Ensuite pour cette idée de floraison, un mouvement irrésistible d’élan vital où un pétale pousse l’autre jusqu’à dessiner une forme singulière : le mouvement perpétuel semble être une éthique chez Edward Perraud, Bruno Angelini et Arnaud Cuisiner. Enfin parce que ce titre-là cache un faux trio avec le surgissement du trompettiste Erik Truffaz, moins un invité qu’un comparse épris lui aussi de silences habités.
À trois ou à quatre, les mousquetaires d’Edward Perraud servent l’éphémère du lyrisme, la fragilité des équilibres, la sculpture du temps, la sensualité du son. L’album est un voyage en paysages intérieurs qui se révèlent au détour de virages sur l’aile et de grooves irrésistibles. Un trio, un quartet ? Non, juste l’univers poétique d’un musicien jusqu’au bout des baguettes.
Léon Phal
Dust to Stars
Kyudo Records / l’autre distribution
Comment transformer la poussière en étoiles ? En soufflant dessus, pardi. Avec “Dust to Stars”, son deuxième album, le saxophoniste Léon Phal s’impose définitivement comme l’un des souffles les plus novateurs de ces dernières années, et confirme ce que tout le monde chuchotait déjà depuis 2019. Cette année-là, le Franco-Suisse remporte les tremplins des festivals Nancy Jazz Pulsations et Jazz à Vienne, et publie dans la foulée son premier album, “Canto Bello”, sous la direction artistique de Julien Lourau - parfait parrain d’exploration des grooves.
Deux ans plus tard, Léon Phal vole désormais de ses propres ailes, avec une idée très précise de sa trajectoire. Les étoiles de « Dust to stars » regardent nettement du côté du dance floor, de cette transe dont tous les membres du quintet se réclament. Ces cinq-là, unis comme des frères - Zachary Ksyk, l’indispensable trompettiste, est un ami d’adolescence - connaissent leur hard bop sur le bout des doigts. Des classiques Blue Note des années 60, ils ont retenu l’essentiel : penser comme un groupe, et écrire comme on construit une histoire, avec un certain sens du suspense, des échappées et des retrouvailles. Mais c’est bien notre époque que les garçons racontent : recherche presque viscérale du groove, appétit pour les musiques actuelles, production léchée, travail d’orfèvre sur les textures, parsemé d’éclats électroniques surgissant des doigts du claviériste Gauthier Toux. Un disque brillant, étincelant. On est bien, dans les étoiles, en 2021.
Veronica Swift
This Bitter Earth
Mack Avenue / PIAS
Du Jazz, elle connaît le langage en profondeur. Elle en a, c ‘est sûr, écouté les maîtres et le langage de l’improvisation a peu de secrets pour elle.
À 27 ans à peine, Veronica Swift, fille du pianiste Hod O’Brien, a déjà été copieusement adoubée par le monde du Jazz (une seconde place au concours Thelonious Monk, des collaborations avec Wynton Marsalis, Benny Green…) et pourtant l’on sent, à l’écoute de ce second album, se dessiner une personnalité qui va bien au-delà du désir d’être enfermée dans un style. Veronica Swift est une femme libre, qui pense ses albums avec intelligence et inspiration. Elle en donne la preuve en abordant tout au long de « The Bitter Earth » des sujets graves comme le sexisme, le racisme, la violence et les fake news. Elle embrasse un répertoire vaste (de Carol King à Bob Dorough, de Dave Frishberg à Amanda Palmer) dont la cohérence émane d’une interprétation singulière et habitée. Elle dresse ici un portrait doux amer d’un monde complexe et tourmenté. Son talent et son énergie contagieuse contribueront, on n’en doute pas, à rendre celui-ci plus habitable. Veronica Swift est au début d’un magnifique parcours artistique qui nous réserve bien des surprises.
Umlaut Big Band
Mary's Ideas
Umlaut Records / l’autre distribution
L’hommage du big band à la pionnière Mary Lou Williams. Mais pas un hommage compassé et formolé : un vrai travail de recherche, effectué par Pierre-Antoine Badaroux et Benjamin Dousteyssier dans les archives recueillies par l’Institute of Jazz Studies de Newark, sur des partitions autographes et parfois inachevées. Des inédits, de multiples versions de son légendaire Mary’s Idea (dont un arrangement pour big band de la dernière version, 1947, baptisée Just An Idea), un thème inauguré par l’orchestre d’Andy Kirk (dont elle fut longtemps la pianiste) dans les années 30. Et ses arrangements pour Duke Ellington, qui ne les joua pas tous, et la paya avec parcimonie... Et aussi des arrangements pour l’orchestre de Cootie Williams. Sans oublier des extraits de sa Zodiac Suite, et trois extraits de son History of Jazz for Wind Symphony, composée pour l’orchestre de Duke University et laissée inachevée. Bref une véritable somme, à inscrire dans les repères patrimoniaux du jazz (on devrait plutôt dire matrimoniaux, en référence au matrimoine, corpus des œuvres conçues par des femmes). Une fois de plus, ce grand orchestre, qui rassemble une encore jeune génération (qui pratique aussi le jazz contemporain et les musiques improvisées les plus hardies), fait preuve d’une insatiable curiosité, et d’un talent à la hauteur de l’enjeu.
Louis Winsberg Trio
Temps réel
Gemini Records / Absilone
Louis Winsberg poursuit son bonhomme de chemin avec constance et talent, et une générosité qui jamais n’échappe à son public. Le guitariste de Sixun (entre autres...) publie ces jours-ci un coffret qui retrace l ‘aventure « Jaleo », rencontre du flamenco, qui depuis son enfance le nourrit, et de l’improvisation. Un son collectif tout à fait original qui prolonge les escapades du grand Paco de Lucia auquel un volume de ce bel objet est dédié.
Pour « Temps Réel » Winsberg se lance cette fois dans le vide, sans filet ni bagage, pour une séance d ‘improvisation et une premiere rencontre devant un public qu on imagine volontiers ébahi. Le dialogue qui s’installe avec Patrice Héral et Jean-Luc Difraya, percussionnistes chanteurs et funambules, est surprenant de bout en bout et l’on aura bien de la peine à labéliser une musique dont liberté, écoute et interaction sont les maîtres-mots. Le trio se livre à un moment d’écriture automatique tout à fait passionant, un premier jet qui sera « augmenté » à posteriori dans le confort d’un studio, autre instrument que Louis Winsberg manie à merveille.
Blues & Soul
Cedric Burnside
I Be Trying
Single Lock / Modulor
Grands Prix du Disque Blues & Soul 2021
Ce Hill country blues qu’il respire depuis tout petit, Cedric Burnside en est désormais le grand champion, y compris en studio. À force d’un travail passionné sur sa guitare, le batteur de Holly Springs a su étendre l’envergure de son talent bien au-delà de son incomparable maîtrise des fûts. Quand il entame ce septième album seul à l’acoustique, on mesure le chemin parcouru. Un phrasé nerveux sur un canevas bien à lui, un chant qui tend vers la soul sur le refrain et sans cesse ne fait qu’un avec l’instrument, des saillis à base de tirés francs comme ses mots. The world can be so cold en dit long sur la maturité de son jeu. Et le voilà qui entre dans le vif de la pulsation Hill Country avec l’implacable Step in, zébré par la slide juteuse de Luther Dickinson. I be trying et son refrain souligné par un chœur et un violoncelle offrent une première ouverture, mais sur cette première moitié d’album, Cedric réaffirme les bases en étant souvent seul au four et au moulin. Ah ! cette guitare qui fait gronder les graves en même temps qu’elle tisse des licks piquants, emboîtée dans le pied de grosse caisse qui bat la chamade pour compenser l’absence de basse. Rarement cette marque de fabrique héritée de papy R.L. aura si bien été mise en valeur, grâce à l’écrin du Royal Studios de Memphis et à la réalisation épurée de Lawrence “Boo” Mitchell. “I Be Trying” élargit ensuite son horizon en variant davantage les plaisirs : un Bird without a feather d’une folle intensité contenue, Pretty flowers qui verse dans une superbe rythmique fluide et tendue, What makes me think et Hands off that girl qui montrent à quel point Reed Watson a su assimiler l’essence du drumming enseigné par Cedric. Quand il parle de lutte et d’amour, quand il fait couler la sueur sur les planches du juke joint (bouillant Get down), quand il se risque en voix de tête, Cedric Burnside offre une prise directe avec son âme et celles de ses aînés qu’on imagine si fiers dans les nuages.
Eddie 9V
Little Black Flies
Ruf / Socadisc
Il n’avait même pas 25 ans lorsqu’il enregistra cet album. Et déjà l’expérience d’un vieux briscard du circuit blues. La morgue et les automatismes en moins ! Celui qui se cache derrière ce curieux pseudonyme - Eddie 9 volts ! - fait preuve à la guitare comme au chant d’une appétence contagieuse qui déteint sur ses accompagnateurs. L’enregistrement, qui n’a pas totalement gommé les échanges en studio, témoigne de cet engagement.
Ce bluesman 2.0 déclare sans ambages : « Je n’aurai sûrement pas découvert Howlin’ Wolf, Muddy Waters, Buddy Guy et creusé plus profond sans un outil comme YouTube ». Mais si ces influences et d’autres (John Lee Hooker, Albert King, Elmore James, Otis Rush) affleurent au détour d’un solo ou d’un motif, il ne s’agit jamais de citations complaisantes, mais d’une ascendance assimilée.
Eddie 9V privilégie les blues en mineur à l’ambiance tendue, voire dramatique, qu’exacerbent sa guitare acérée, l’harmonica touffu ou les à-plats d’orgue de ses compagnons. Tout aussi inattendu au chant, il s’y connait pour habiter un texte à la manière des grands chanteurs soul de sa Géorgie natale.
C’est à Atlanta qu’il a forgé sa réputation et c’est là qu’il a voulu enregistrer cet album, dans les conditions d’un live, avec son groupe régulier (Chad Mason aux claviers, Jackson Allen à l’harmonica, Lane Kelly à la basse, Aaron Hambrick à la batterie). Il en résulte une spontanéité et une complicité qu’aucun vernis ne vient affadir.
Robert Finley
Sharecropper's Son
Easy Eye Sound / Bertus
Robert Finley a attendu l’heure à laquelle d’autres prennent leur retraite pour s’affirmer avec deux albums dans la tradition de la soul old school, comme on en produisait durant l’âge d’or du Memphis sound dans les studios Stax ou Hi. Son chant, profondément empathique, ancré dans la tradition des églises sudistes, véhicule une émotion tangible que son falsetto entraîne vers des hauteurs stratosphériques !
Pourtant ce troisième opus s’écarte de ses prédécesseurs par l’investissement de son auteur. Là où il se contentait d’investir les textes qui lui étaient proposés, il a maintenant voulu raconter sa propre histoire. Le titre d’ouverture, Souled out on you, fait le lien avec la coloration soul de l’album précédent, mais c’est le blues qui s’invite naturellement lorsqu’il s’agit d’évoquer son enfance rurale à travers des textes à forte valeur autobiographique : Country child, Sharecropper’s son, My story… Un blues qui se fait plus prégnant encore lorsque la guitare de Kenny Brown, le « fils spirituel » de R.L. Bursnide, est convoquée dans la veine du Hill country blues du Mississippi, mais la soul revient au galop dans I can feel the pain, ballade dépouillée, écrite avant la pandémie mais plus que jamais pertinente. Jamais très loin, le gospel imprègne le dernier titre, All my hope.
Robert Finley a été signé sur le label Easy Eye Sound appartenant à Dan Auerbach, coleader des Black Keys, qui s’est totalement investi dans la réalisation de l’album, apportant son aide aux compositions, posant sa guitare sur presque toutes les plages et produisant le disque avec le souci évident de rester au service de son artiste. Belle leçon d’humilité et révérence au talent singulier de Robert Finley !
In Honorem Blues & Soul
Bruce Iglauer
50 Years of Genuine Houserockin
fondateur d’Alligator, le label indépendant qui porte haut les couleurs du blues depuis 50 ans, à l’occasion de la parution de "50 Years of Genuine Houserockin’ Music" (Alligator/Socadisc)
Aurait-il pu imaginer, alors qu’il enregistrait le bluesman Hound Dog Taylor en 1971, que cette première séance de studio déciderait de sa destinée dans l’univers du blues ? Bruce Iglauer n’a jamais fanfaronné. Il s’est seulement laissé porter par ses enthousiasmes et ses coups de cœur. Guidé par son instinct, il a tenté de expériences, espéré faire les bons choix et gagné la confiance de musiciens sur la réserve. Au fil des décennies, Alligator Records est devenu la « maison commune » des virtuoses du blues à Chicago. L’esprit de famille l’emportait sur les considérations mercantiles. Certes, il fallut adapter les modes de production aux exigences du moment mais la flamme, l’envie et le flair sont restés les moteurs d’une passion sincère pour la musique et les artistes. Bruce Iglauer a révélé ou réhabilité de grandes figures de la culture populaire noire américaine, Koko Taylor, Luther Allison, Buddy Guy, Albert Collins, Jimmy Johnson, Robert Cray, Lucky Peterson, Kenny Neal… Aujourd’hui encore, il frétille à l’idée de présenter ses derniers petits protégés. Il promet un grand avenir au jeune Christone « Kingfish » Ingram, 22 ans, dont le dernier album « 662 » suscite l’engouement. Plus aguerri, Bruce Iglauer sait déceler les talents et les mettre en valeur mais il conserve cette fraîcheur, cette excitation joyeuse pour les instrumentistes auxquels il croit vraiment. Fidèle, il n’oublie pas ceux qui ont rythmé le quotidien d’Alligator Records depuis 50 ans et ne manque pas de vanter leurs mérites même s’ils ont quitté le bercail. Les têtes d’affiche aujourd’hui s’appellent Shemekia Copeland (fille du regretté Johnny « Clyde » Copeland), Chris Cain, Selwyn Birchwood, Curtis Salgado, Toronzo Cannon, Lil’ Ed and the Blues Imperials, des noms qui scintilleront nécessairement avec force au XXIe siècle. Croyons-en la détermination et la ferveur juvénile du fringant Bruce Iglauer qui s’apprête à célébrer une autre étape vertigineuse de son existence, son 75e anniversaire, le 10 juillet 2022.