Sélection Jazz, Blues & Soul 2022

Les Coups de cœur Jazz, Blues & Soul ont été proclamés sur France Musique le 15 décembre 2022, dans l’émission Open Jazz d’Alex Dutilh.

Et, comme chaque année, parmi les Coups de cœur sont choisis les Grands Prix du Disques 2022 Jazz, et Blues & Soul., ainsi que cette année à un Prix In Memoriam 2022.

Une sélection proposée par la commission Jazz, Blues & Soul :
Alex Dutilh, Alice Leclercq (coordinateur Jazz), Arnaud Merlin, Daniel Yvinec, Jacques Périn, Jean-Michel Proust, Joe Farmer (coordinateur Blues&Soul), Mathilde Favre, Nathalie Piolé, Nicolas Teurnier, Philippe Carles, Reza Ackbaraly, Stéphane Koechlin, Xavier Prévost.


Jazz

Hymne au soleil

Laurent Bardainne & Tigre d'eau douce

Heavenly Sweetness

D‘emblée, un son de ténor épais, câlin, enveloppant, l’un des plus craquants de la scène hexagonale. Et puis un groove, limpide et tranquille comme l’eau douce. Et un lyrisme qui instille chaque titre pour un faire plus qu’un chant, un hymne à reprendre à tue-tête. Il y a aussi énorme complicité dans ce quintet un brin malicieux qui exhale le bonheur du placement collectif, le plaisir de faire gambader une myriade de détails autour des volutes du sax.

La musique de Laurent Bardainne et de ses Tigres coule de source ? Il en jaillit un jazz festif, charnel, généreux. Sous son évidence surgit une voie lactée, celle qui concilie une sophistication d’orfèvre et une philosophie du « feel good ». Irrésistible.

Alex Dutilh

In the Spirit of Ntu

Nduduzo Makhathini

Blue Note Records / Blue Note Africa

La musique peut-elle soigner ? Ceux qui l’aiment savent bien que oui, et se feront prescrire les notes de Nduduzo Makhathini. Actif depuis de longues années, le pianiste sud-africain émerge enfin à l’international, grâce à sa signature récente chez Blue Note. Après “Modes Of Communication : Letters From The Underworlds” (2020), il continue son voyage spirituel et engagé avec cette deuxième sortie Blue Note tout aussi habitée, « In The Spirit of Ntu ». Des esprits, il y en a partout dans sa musique. Dans ses doigts coulent la spiritualité de Coltrane, l’originalité de Monk, la curiosité de Randy Weston. De solides références au jazz américain, qu’il anime avec les traditions musicales de son pays, et la philosophie Ubuntu, dont il porte le message avec conviction. Ici, les sons transcendent, les sons prient, les sons guérissent. “NTu”, c’est une profonde invocation de la collectivité”, explique-t-il dans ses notes, “un endroit grâce auquel nous sommes connectés à tous”. Alors, ensemble, ses musiciens tissent des tapis rythmiques enveloppants, éclairés par le vibraphone de Dylan Tabisher, la trompette de Robin Fassie Kock, le saxophone de Linda Sikhakhane - brillant éventail des talents émergents que compte cette scène jazz sud africaine.Chaque intervention de Nduduzo - tantôt au chant, tantôt au piano - est pesée, pensée dans un délicat équilibre qui garde toujours le groupe au centre.

Loin d’être racoleur, “In the Spirit of Ntu” est un album dont les bienfaits infusent au fur et à mesure des pistes. Des morceaux lumineux (« Emlilweni », avec le saxophoniste américain Jaleel Shaw, seul invité non sud africain) laissent place à des plages plus dépouillées (“Omnyama”), qui dévoilent élégamment leur puissance implacable. Un disque soigné, et soignant, dans lequel plonger, en toute confiance.

Nathalie Piolé

Ghost Song

Cécile McLorin Salvant

Nonesuch

La chanteuse franco-américaine Cécile McLorin Salvant, née en Tunisie d’un père Haïtien et d’une mère Guadeloupéenne, est sans aucun doute la révélation du jazz vocal de ce début de siècle. Ses disques ont été systématiquement salués et primés au plus haut niveau mondial (dont 3 Grammy Awards). Interprète exceptionnelle au service des grands standards du jazz, toujours à la recherche de chansons rares et peu enregistrées, elle ne cesse d’agrandir son champ d’actions. Son art de l’interprétation, proche de l’art d’une comédienne démontre s’il en était besoin sa capacité à dire, raconter, donner vie. « Ghost Song », 6e album, premier inaugurant sa collaboration avec le prestigieux label Nonesuch, est hanté par les fantômes que chacun porte en soi, des amours perdues, du désir évanoui et de la nostalgie face au temps qui passe. Il présente 7 chansons originales et 5 reprises de Kate Bush, Sting, Gregory Porter, Harold Arlen et Kurt Weil. Pour ce disque enregistré pendant les mois de pandémie et sur une période d’un an et demi, n’écoutant que ses intuitions et ses envies, la vocaliste a exploré et assume des esthétiques très variées - pop, jazz,world, folk - comme elle aime à le faire, s’aventurant au-delà des frontières du genre musical qui l’a vue s’épanouir. L’album, conçu avec son complice, le pianiste Sullivan Forter, s’ouvre et se ferme sur une sublime ballade gaélique captée a capella dans l’église St. Malachy de New York un jour de tempête de neige. « Ce chant traditionnel, “Sean Nos”, que j’ai découvert par hasard sur Internet, m’intrigue car on en saurait dire d’où il vient ni de quelle époque il date. Il sonne à la fois très ancien et ultramoderne ! » souligne-t-elle. Ce « Ghost Song » sonne à la fois actuel et éternel. Éblouissant.

Jean-Michel Proust

Louise

Émile Parisien

ACT

Le titre intrigue : « Louise », comme Louise Bourgeois, et ses spectaculaires sculptures d’araignées maternelles. Serait-ce un retour aux sources pour Émile Parisien, biberonné au jazz américain dès le collège de Marciac ? On penche davantage pour le tissage d’une nouvelle toile, en forme de patchwork narratif. On y trouve en effet tout ce qui constitue la galaxie plurielle du saxophoniste : un puissant ancrage mélodique qui se retrouve dans des compositions d’une insondable émotion, un goût prononcé pour l’expérimentation et les modes de jeu contemporains, et un art du vagabondage free qui le relie à l’univers d’Ornette Coleman et de Joachim Kühn. Pour mettre en œuvre cette utopie créatrice, Émile Parisien a convié aux côtés de deux fidèles, le pianiste Roberto Negro et le guitariste Manu Codjia, trois invités d’outre-Atlantique, le trompettiste Theo Croker, le contrebassiste Joe Martin et le batteur Nasheet Waits. Enregistré dans une urgence commandée par la culture américaine de la première prise, le disque témoigne d’une fièvre communicative, faisant la part belle au répertoire personnel, hormis une reprise bienvenue de Madagascar de Joe Zawinul. Émile Parisien vient tout juste de célébrer ses quarante printemps. L’aventure ne fait que commencer.

Arnaud Merlin

Night Trippin’ (Tribute to Dr John)

Matthis Pascaud & Hugh Coltman

Sony Masterworks

Un cri d’amour du jazz à la sorcellerie du blues. En l’occurrence aux raucités habitées du Dr. John des premières années, celui des sixties et d’un blues où le vaudou affleure comme les yeux d’alligator à la surface du bayou. Il y a de la sauvagerie aussi dans la relecture de cet art brut, des sons saturés, des percussions d’aiguiseur de couteaux ambulant, une voix exfiltrée du fond des âges…

Il est bel et bien question d’un voyage nocturne, à la dimension d’un portrait en pied du héros de « Babylon » et « Gris-Gris » : arrangements noirs et poisseux, radicalement justes et dépouillés, engagement total dans des interprétations habitées, hallucinées parfois, hors du temps toujours. Matthis Pascaud et Hugh Coltman sont aux antipodes de la nostalgie et au cœur de la vitalité d’un monde joyeusement sulfureux.

Le plus longtemps possible

Flash Pig

Astérie

Enregistré en février 2022 et sorti à peine quatre mois plus tard, « Le plus longtemps possible » est le quatrième album de Flash Pig. Dirigé collégialement par le pianiste Maxime Sanchez, le saxophoniste tenor Adrien Sanchez, le batteur Gautier Garrigue et le contrebassiste Florent Nisse, le groupe joue un jazz animé d’une liberté exacerbée, épris d’une recherche de nuances.

« Le plus longtemps possible » est le premier album co-composé par chacun des membres du groupe et aussi le premier publié sur Astérie, leur propre label. Dans leur univers original, l’héritage de la scène free jazz des années 70 cohabite avec leurs revisites de tubes commerciaux, comme celle du Get Busy du roi jamaïcain du dancehall Sean Paul ou celle du Video Games de la chanteuse Lana Del Rey, une merveille de retenue. Avec leur impressionnante osmose et leurs improvisations ardentes, Flash Pig s’affirme comme l’un des groupes les plus passionnants de la scène française.

Alice Leclercq

Micah Thomas. Piano solo

Micah Thomas

LP45

Une nouvelle étape dans l’art du piano franchie par un musicien de 25 ans. S’il est un évènement majeur c’est bien ce premier album en solo.

Diplômé de la Juilliard School of Music en 2020, Micah Thomas s’impose d’emblée dans le paysage New-Yorkais. Membre du quartet d’Immanuel Wilkins, il collabore avec Ambrose Akinmusire, Joel Ross, Billy Drummond… La même année parait « Tide », une échappée prometteuse en trio mais c’est en solitaire que se révèle une personnalité sidérante.

Ce talent n’échappe pas au label LP45 qui propose au pianiste d’enregistrer, face à lui-même, cinq standards, à Brooklyn, le 31 Octobre 2020. Au terme de la première heure d’enregistrement, Thomas a tissé sur une dizaine de chansons -uniquement des premières prises- des toiles si personnelles que le processus s’emballe…Conscients de vivre là un moment unique, Luigi Grasso, Laurent Courthaliac et Yaron Herman, directeurs artistiques du label, changent de cap ; ils sortiront un double LP d’un total de douze titres. Lorsque la nuit tombe, pas moins de trente-deux standards sont dans la boîte et tout est renversant.

L’impression qui émane de cet album est rare. Se côtoient ici sophistication, spontanéité, une culture immense et des moyens techniques sans limite au service d’un discours qui, parce qu’il n’est jamais prévisible, toujours nous fascine. Micah Thomas est architecte et conteur ; l’histoire du jazz il en connaît tous les recoins et la célèbre avec une pulsion de vie exceptionnelle. Empreint d’une culture classique qui favorise le contrepoint, il dessine sa propre version de la tradition, lui imprimant une vision si personnelle qu’on peine à en déceler les influences. On pense à l’immense Art Tatum pour cette faculté à « composer » en direct et à ignorer avec superbe les limites ergonomiques de l’instrument. Cet album essentiel rebat les cartes ainsi qu’en atteste l’admiration que lui vouent déjà Fred Hersh, Sullivan Fortner, Aaron Parks…

Daniel Yvinec

Tissé

Marion Rampal

Les Rivières souterraines

Sorti en février 2022, le cinquième album de la chanteuse et compositrice Marion Rampal rayonne d’une sérénité bienfaisante. En onze chansons dont elle a écrit les paroles et les mélodies, Marion tisse un folklore personnel. Un univers poétique, cousu au creuset de ses influences : jazz, folk, blues, musiques de la Louisiane, du Québec, rythmes créoles. La signature de Marion ? Une voix hors du temps, troublante de sensibilité, porteuse d’inflexions blues, d’une grande élégance.

Marion s’est entourée du guitariste Matthis Pascaud qui a assuré les arrangements et la réalisation du disque, du pianiste Pierre-François Blanchard, du batteur Raphaël Chassin, du tromboniste Sébastien Llado et de Tony Paeleman au mixage. (Sur scène, le contrebassiste Simon Tailleu les rejoint.) Publié sur le label qui porte le nom de la compagnie que Marion a fondée avec Pierre-François Blanchard, « Tissé » est un disque habité par la grâce, un sommet.

Alice Leclercq

The 7th Hand

Immanuel Wilkins

Blue Note / Universal

Après l’enthousiasme suscité par son premier album, « Omega », en 2020, le saxophoniste alto revient avec une affirmation plus forte encore de son identité musicale, communautaire et spirituelle. Superbement entouré, notamment par le pianiste Micah Thomas, qui aura été la révélation de cette année 2022, Immanuel Wilkins nous offre une sorte de manifeste de ce qu’est la musique de jazz, dans le prolongement de son histoire : lyrique, incantatoire, vertigineuse, transgressive parfois, et constamment inventive. Une symbolique biblique paraît sous-tendre l’ensemble de la suite qui structure ce disque. Mais la musique parle d’elle-même, par son effervescence, sa force expressive, et la créativité constante de ses détours. En plus du quartette les interventions des invités, la flûtiste Elena Pinderhughes, et le groupe de percussions Farafina Kan, contribuent encore à accroître l’intensité de ce qui est un grand disque, assurément.

Xavier Prévost


Blues & Soul

Broken Lines

Robinson Khoury

Gaya Music Production / L’autre distribution

Pour son deuxième disque, le tromboniste nous offre une autre facette de sa personnalité musicale : instrumentiste hors pair, improvisateur de haut-vol, il se fait concepteur d’univers musicaux et sonores qui virevoltent au détour des phrases, des séquences et des rythmes. La référence au cubisme de la première plage du CD recèle peut-être l’une des clés de ce nouvel opus. Au fil des plages la palette s’élargit de multiples teintes, densités, matières, et jusqu’à la voix du tromboniste, qu’il nous fait entendre en anglais, à deux reprises. Les références musicales, les modes de jeu et les sources d’inspiration se télescopent avec une verve indiscutable. Au-delà d’une sorte d’album concept, c’est presque l’auto-portait d’un groupe, car la dimension collective est assumée. Et le trombone, dans la maîtrise instrumentale comme dans l’intense musicalité, survole de titre en titre ce manifeste artistique.

Xavier Prévost

Mississippi Son

Charlie Musselwhite

Alligator Records

Quand Charlie Musselwhite publie son premier disque, le merveilleux Stand Back, il ne choisit pas vraiment le bon moment. Nous sommes en 1967. Les Doors, Jimi Hendrix, Pink Floyd, Beatles tiennent la vitrine. Alors vous pensez… Un harmoniciste aux vieilles bottes couvertes de fange mississippienne face aux méandres ténébreuses du rock psychédélique. Combat inégal. Personne ne se doute alors que cette simple œuvre créée par un artisan grandi à Memphis fait partie d’une révolution qui se meut comme un rattlesnake à bas bruit mais va impacter profondément la musique américaine, la renaissance blues américaine. Cela fait déjà quelques années que ce courant blanc existe dans le sillage du « blues boom » anglais et qu’il sort de jolis et puissants disques. En 1964, John Hammond Jr, l‘un de ses fins représentants, a publié le tendu Big City Blues, Paul Butterfield, issu de l’emblématique Chicago, a livré un intense album éponyme et marqué le territoire, autant d’œuvres malheureusement perdues pour la cause en raison du contexte splendidement embouteillé de la musique à cette époque. Il faudra attendre comme on guette l’érosion du sol pour que la cité engloutie réapparaisse. Charlie Musselwhite arrive donc un peu plus tard, mais se place au sommet de ces merveilleux artilleurs, assez traditionnalistes, sans être des copieurs sans âme. Il a choisi un instrument, l’harmonica, que l’on entend ici ou là, de Paul Butterfield à Bob Dylan, et utilise l’orgue (magnifique sur Christo Redemptor) qui offre du chatoiement à son minerai musical. Mais surtout Charlie a le tampon Mississippi imprimé sur le corps tel un sceau royal, le casier du bluesman bien rempli, la vente d’alcool frelaté, l’amour de l’ivresse, le travail sous un soleil de plomb dans une filature de coton, la route vers Chicago avec un copain de route plutôt légendaire, l’harmoniciste Big Walter Horton… Il a joué avec Muddy Waters, John Lee Hooker qui sera témoin à son mariage. C’est presque un cliché à lui tout seul, mais une promesse d’authenticité que portent sa voix rocailleuse, le feu éclatant de son harmonica, l’énergie irrésistible.

L’éternel retour vers le sud
« Le groupe de Musselwhite a une base blues mais rappelle les premiers temps du rock and roll », écrit en 1969 le New York Times. Il publie un florilège de disques remarquables, Stone Blue (1968), Memphis Charlie (1969), qui fera partie de la précieuse collection de Ben Harper dans sa boutique familiale du Folk Music Center, Goin’ Back Down South (1974), ou Continental Drifter (1999), indifférent aux météos musicales. Son œuvre personnelle, qui compte une trentaine d’albums, semble se clore en 2010. Peut-être n’a-t-il plus la force, affaibli par la maladie ? Mais il accepte les collaborations de prestige, comme son diptyque avec Ben Harper, Get Up ! (2013) et No Mercy In This Land (2018) qui lui ouvre un nouveau public et les portes de la Maison Blanche avec sa fidèle épouse Henrietta, où il joue devant le Président Barack Obama. Troquer, à 78 ans, la bouteille de gnole contre le costard et les lambris de l’Institution ne l’a pas changé. Il a remisé l’alcool au placard après que Henrietta lui a posé un ultimatum : « C’est la boisson ou moi ». Merci Henrietta, bien plus efficace qu’une médecine de charlatan. Grâce à elle, douze ans après son dernier disque, il enregistre enfin l’un de ses plus beaux albums que nous célébrons aujourd’hui à l’Académie Charles Cros, Mississippi son, avec ce merveilleux titre qui résonne comme un mantra, la formule magique dont il possède toujours la clef. Muselwhite est retourné vivre à Clarksdale, le Triangle des Bermudes du blues, décidé à chercher le diable, les fantômes de Charley Patton et de Robert Johnson. Bien sûr, la voix et l’âge ne permettent plus d’envoyer la cavalerie. L’abat-jour a été baissé, la lumière y est tamisée. La nuit avance. Nous commençons le voyage au bord de la rivière avec le superbement paresseux Blues Up The River, puis le tempo s’accélère comme une inquiétude dans Hobo Blues aux incantations lancinantes et primitives. Nous le découvrons à la guitare et à l’harmonica, il est à lui tout seul Brownie McGhee et Sonny Terry, ce duo de country blues qui enchanta les années 1960. Nous devinons ce qu’il nous a mitonné, un disque crépusculaire, pas spectaculaire pour un sou, à rebours de notre époque criarde. In Your Darkest Hour, Stingaree, When The Frisco Left The Shed narrent un récit magnifique et romantique, d’une tendresse absolue, nous plongeant dans la langueur sensuelle des marais, des champs de vigne, des sentiers. A travers ce spectre sonore dépouillé, presque hypnotique, où s’immisce une parole parfois murmurée sous la tonnelle, défilent les thèmes chers au blues, l’errance, le souvenir (de son ami Big Joe Williams), jusqu’au serpent (Crawling King Snake), vecteur de ce désir que Charlie n’aura jamais cessé de ressentir tout au long de sa longue route et qui l’aura maintenu en vie.

Stéphane Koechlin

I Ain’t Playing

Diunna Greenleaf

Little Village

Originaire de Houston au Texas, la chanteuse Diunna Greenleaf a en elle la sève des musiques populaires afro-américaines, le Blues, la Soul, le Jazz et le Gospel. Sa voix puissante est si flexible qu’elle peut en un instant basculer d’un swing délicat à la plus rugueuse tonalité vocale. L’écho de son aînée Koko Taylor semble d’ailleurs résonner jusque dans ses plus fines interprétations.

À 65 ans, Diunna Greenleaf révèle enfin, dans l’album « I ain’t playing », les couleurs majestueuses de ses racines sudistes enracinées dans la culture noire. L’authenticité de son répertoire parfois mâtiné d’un activisme discret ne peut laisser indifférent. Sa relecture du standard « I wish I knew how it would feel to be free », immortalisé par Nina Simone en 1967, fait mouche. Diunna Greenleaf est clairement l’héritière d’une tradition ancestrale qu’elle revendique en citant parmi ses héroïnes de grandes figures d’antan comme Sister Rosetta Tharpe ou Aretha Franklin. Nous pourrions également ajouter Big Mama Thornton dont le timbre de voix et la posture défient les décennies.
Il n’est pas étonnant que Diunna Greenleaf ait reçu tant de louanges depuis sa prestation très remarquée lors de l’international blues challenge de Memphis en 2005. Elle est une femme forte qui s’investit dans son art et soutient la communauté des musiciens de sa ville natale. Elle fut même, pendant trois ans, la première présidente de la « Houston Blues Society » qui œuvre depuis 2004 au rayonnement du blues et à sa plus large diffusion.

Diunna Greenleaf ne pouvait que surgir des entrailles de l’histoire et réaffirmer, en toute sincérité, la force expressive des musiques noires américaines.

Joe Farmer

Changing Times

Silent Partners

Little Village

Le batteur Tony Coleman et le bassiste Russell Jackson ont d’abord été repérés par Otis Clay, une référence en matière de soul blues, avant que B.B. King ne leur fasse une offre qu’ils ne purent refuser : faire partie de son orchestre ! Quelques années plus tard, fort de cette expérience, ils s’associaient à Mel Brown, un chanteur-guitariste auréolée de ses six albums sur Impulse !, pour former The Silent Partners et devenir le house band du prestigieux club d’Austin, Antone’s. Le patron, Clifford Antone, qui venait de lancer son propre label, leur permit de graver un album en 1989, “It’s All Night, It’s All Right“, aussi fameux que recherché, car jamais réédité à ce jour.

Faire revivre les Silent Partners trente-trois ans après ce seul album et en trouvant un successeur crédible à Mel Brown, disparu entre-temps, relevait de l’exploit. Le producteur, et pianiste Jim Pugh n’a pas reculé devant le défi et le résultat prouve la pertinence de son intuition. Même si le temps a passé, Tony Coleman et Russell Jackson sont pleinement en possession de leurs moyens, ils n’ont rien perdu de leur autorité rythmique ou de leurs qualités vocales. Le choix de Jonathan Ellison à la guitare et au chant s’avère particulièrement approprié. Quasiment inconnu hors des limites de Memphis, son approche est en phase avec celle de ses nouveaux compagnons, pour une musique consciente de ses racines, du monde qui l’entoure, mais aussi ouverte et généreuse. Des traits qu’on retrouve tout au long d’un disque excellement produit qui s’ouvre sur deux titres forts écrits et chantés par Coleman, le magistral Ain’t no way to do wrong, superbement arrangé, et le glaçant Post traumatic blues syndrome. Jonathan Ellison suit avec une majestueuse ballade, digne des grandes heures de la soul de Memphis. Jackson prend ensuite les rênes en main pour trois titres qui invitent à la danse. On récupère le temps du Teasing woman d’Ellison, qui balance à la façon d’Albert King, avant les deux chansons – à reprendre en chœur en concert – qui referment ce disque inattendu et passionnant.

Jacques Périn