Sélection Musique contemporaine et expérimentale 2022

C’est le 14 décembre 2022, dans le cadre de la 5e édition du Festival « Aux Armes, Contemporains ! », que Arnaud Merlin avec la participation d’Omer Corlaix, coordinateur de la commission Musique contemporaine et expérimentale de l’ACC a dévoilé et présentés les 10 Coups de cœur 2022 élus par la commission après écoute de l’ensemble des nouveaux disques de musique contemporaine publiés en 2022, et quelle que soit leur origine dès lors qu’ils sont accessibles au public en France.

L’émission peut être réécoutée

La commission :
Jérémie Bigorie, Pierre-Albert Castanet, Gilles Charlassier, David Christoffel, Omer Corlaix (coordinateur), Alain Fantapié, Laurent Feneyrou, Bastien Gallet, Romaric Gergorin, Guillaume Kosmicki, Jean-Guillaume Lebrun, Alain Louvier, Arnaud Merlin, Anne Montaron, Michèle Tosi

L'actualité des Coups de cœur

Ondřej Adámek

Follow me – Where are you ?

1 CD BR Klassik 900638 / Collection « musica viva » #38 (2022)

Orchestre symphonique de la Radio bavaroise, Peter Rundel et Simon Rattle (dir.), Isabelle Faust (violon), Magdalena Kožená (mezzo-soprano)

Ce qui frappe, dès les toutes premières œuvres d’Ondřej Adámek, c’est le geste sûr avec lequel il sculpte le son, lui donne forme et évidence. Ce geste n’a cessé de s’affirmer, gagnant en virtuosité et en portée, comme on dirait d’un pont. En témoignent les deux œuvres pour grand orchestre enregistrées ici lors de leur création : dans le concerto pour violon Follow me (2017), les motifs mélodiques, les rythmes, la texture contaminent tout l’effectif ; dans Where are you ? (2020), la voix, polyglotte et polymorphe, fait se lever les forces orchestrales en un fascinant rituel.

Jean-Guillaume Lebrun

Grazyna Bacewicz

Piano Works : Peter Jablonski

Ondine ODE1399-2 (2021)

Les premières œuvres de la compositrice polonaise Grażyna Bacewicz (1909-1969) s’inscrivent dans une veine néoclassique, intégrant le folklore et tournant délibérément le dos à l’emphase et aux débordements émotionnels. Plus tard, en 1956, lors de la première édition du festival Automne de Varsovie, Bacewicz découvre les langages modernes venus de l’Ouest. En rassemblant les deux sonates pour piano et les études composées entre 1949 et 1957, le pianiste Peter Jablonski témoigne de la richesse et de la pertinence du travail de cette artiste, encore trop peu connue hors de son pays d’origine.

Guillaume Kosmicki

George Crumb

Black Angels / Music For A Summer Evening

B Records LBM040 (2022)

Quatuor Hanson (Anton Hanson, Jules Dussap, vls, Gabrielle Lafait, alto, Simon Dechambre, vlc), Philippe Hattat, Théo Fouchenneret, pianos, Emmanuel Jacquet et Rodolphe Théry, percussions

Disparu au début de l’année 2022 à l’âge respectable de 92 ans, le compositeur américain George Crumb n’encombre guère les affiches de concerts et les programmes de disques. Si sa musique exige beaucoup des interprètes, elle leur procure pourtant d’intenses satisfactions, autant qu’elle sait séduire les publics les plus néophytes. Enregistré au festival de Deauville, qui fait la part belle aux jeunes interprètes, ce disque réunit deux pièces emblématiques du compositeur. D’une part son quatuor Black Angels, fascinant livre d’images sur le thème de la guerre, du bien et du mal, subtilement servi par le Quatuor Hanson, qu’on avait déjà remarqué dans un enregistrement consacré aux musiques nocturnes de Bartok, Dutilleux et Ligeti. D’autre part, Music For A Summer Evening, sorte de « drame cosmique » illustré par des timbres inouïs, finement incarnés par les pianistes Théo Fouchenneret et Philippe Hattat, et les percussionnistes Emmanuel Jacquet et Rodolphe Théry. Un joyau dans la discographie du compositeur.

Arnaud Merlin

Gervason, Pesson, Poppe

Quatuor Diotima

Naïve V 7159, 3 CD, 2021

Quatuor Diotima, Pascal Moraguès, clarinette ;Naïve V 7159, 3 CD, 2021

Avec une virtuosité affutée, les Diotima associent 3 compositeurs cherchant de nouveaux agencements sonores. Gervasoni et Clamour et son envers du quatuor, Six lettres à l’obscurité et son expressivité condensée, Strada non presa et sa trame éclatée. Respirez ne respirez plus de Pesson expose un art de la précision viscérale, quand Bitume est tout en sinuosités et germinations irisées et Farrago pulsant des particules de temps. Enno Poppe cultive lui un vitalisme organique particulièrement iconoclaste.

Romaric Gergorin

Heiner Goebbels

A House of Call. My imaginary notebook

ECM New Series 485 8039, 2022

Ensemble Modern Orchestra, direction Vimbayi Kaziboni.

Dans Stein Schere Papier, le dire s’écoute se vernir. Au lieu de contrechamp, la voix dédramatise l’écart avec l’impassibilité forcée qui pousse les événements orchestraux à s’exaspérer le dramatisme. Le téléphone aurait pu être une texture parmi d’autres, une patine de plus, instrumentalisée au point de parfaire le contrepoint de couleurs. Mais cela reste un téléphone, avec ce qu’il induit de coupure entre émetteur et récepteur, d’espace acoustique autonome, prêt à fonctionner tout seul (comme dans le deuxième mouvement). A House of Call : compte tenu de ce que la musique doit toujours re-négocier pour exister dans les communications définitivement asymétriques, les jeux d’incantations dans Grain de la voix et les luxuriances paradoxales de When Words Gone remplissent aussi une office d’alerte.

David Christoffel

Sofia Goubaïdoulina

Dialog : Ich und Du, The Wrath of God, The Light of the End

Deutsche Grammophon 861457 (2021)

Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, Andris Nelson

C’est avec l’interprétation de son premier concerto pour violon, Offertorium en 1981 par Giddon Kremer que Sofia Goubaïdulina s’impose comme une des compositrices majeures en Europe. Cette nouvelle monographie réalisée par Deutsch Grammophon en 2021 soit quarante ans plus tard démontre la persistance de la puissance orchestrale de son écriture musicale. Son lyrisme est porté par une mélancolie profonde. Ce troisième concerto qui ouvre la monographie, Dialog : Ich and Du reprend le titre d’un essai du philosophe Martin Buber de 1923 marqué par un profond mysticisme opposant le « je », ici le violon de Vadim Repin à l’orchestre figurant le « tu », l’autre, plus qu’une opposition, c’est l’échange musical qui domine. Les trois œuvres sont interprétées par l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig sous la direction Andres Nelsons donne à ce cd une couleur orchestrale intense.

Omer Corlaix

Heinz Holliger

Lunea

ECM (2 CD) 485 6322 (2022)

Lenau-Szenen : Christian Gerhaher, Ivan Ludlow (barytons), Juliane Banse, Sarah Maria Sun (sopranos), Annette Schönmuller (mezzo-soprano), Philharmonia Zurich, Madrigalistes de Bâle, dir. Heinz Holliger

Après Louis Soutter, Friedrich Hölderlin et Robert Walser, un autre artiste frappé par la folie a retenu l’attention de Heinz Holliger : Nikolaus Lenau. Lunea (anagramme mêlant Lenau-lunatique) était au départ un cycle de lieder ; il servit de canevas au livret de Händl Klaus de ce nouvel opéra. Les deux barytons représentent la personnalité divisée du poète quand les trois femmes embrassent sept personnages. Un chœur de douze voix, traité à la manière d’un madrigal, fait office de chambre d’écho. Composé de trente-quatre musiciens, l’orchestre intervient moins en tutti qu’en échappées solistes : le cymbalum remplace le continuo, les percées du violon renvoient à l’instrument dont jouait le poète. L’écriture vibratile de Holliger évolue dans les textures et les dynamiques raréfiées. La vocalité se ressent d’une métrique comme atomisée en minuscules imbrications (duolets, triolets, etc.) cependant que l’harmonie investit le champ de l’infrachromarisme. La prestation de Christian Gerhaher relève de l’accomplissement. On retrouve la qualité de la pâte acoustique d’ECM, cet d’œuvre s’impose comme un des enregistrements majeurs de l’année 2022.

Jérémie Bigorie

Fausto Romitelli

An Index of Metals

B Records LBM043 (2022)

Linda Oláh, soprano, Ensemble Miroirs étendus, direction Fiona Monbet

Élaborant des anamorphoses sonores qui forment un rituel de transmigration, Romitelli crée un théâtre sonore viscéral exprimant une chute infinie. Les harmonies se dissolvent, les mélodies s’abiment dans le grave, une guitare électrique explore différentes tonalités saturées. Sur ces boucles hypnotiques transformées s’élève le chant diaphane de Linda Oláh, soprano venue du jazz, bien servie par l’ensemble Miroirs Étendus qui cisèle les différentes montées en puissance de cette ardente expérience sensorielle.

Romaric Gergorin

Salvatore Sciarrino

Musiche per il “Paradiso” di Dante

Kairos 0015119KAI (2022)

Andrea Biagini, flûte ;Lorenzo Gentili-Tedeschi, violon Garth Knox, alto et viole d’amour ; Orchestra di Padova e del Veneto ;Marco Angius, direction

Dans ces musiques de scène pour solistes et orchestre, Salvatore Sciarrino entend moins illustrer les mots de Dante que créer un espace pour sa parole. On y découvre, à travers des timbres raffinés et des textures subtiles, son cabinet de travail, au terme de son œuvre ; puis, l’initiation, le passage des épreuves et l’ascension jusqu’au Paradis, en de vastes cercles aux strates multiples, une pour chacun des cieux ; les ultimes visions, enfin, où le son se scinde, contient son ombre, et où la lumière resplendit dans les ténèbres. « On a dit que le Paradis {} de Dante est le monde de la vision absolue. Mais qu’est-ce que le regard ? Qu’est-ce qui rend possible de voir les lumières, sinon la traversée de l’espace, le voyage dans la transparence ? » Magnifiquement servi par la direction de Marco Angius, familier de l’œuvre de Sciarrino, cet enregistrement est une nouvelle et fascinante invitation à l’écoute du maître de Città di Castello.

Laurent Feneyrou

Bernd Alois Zimmermann

Sinfonien (live)

Bastille Musique 18 (2022)

Divers artistes, Orchestre symphonique de la WDR de Cologne, direction Emilio Pomarico

Deux captations live à la Philharmonie de Cologne figurent dans cet album (n°18) du label bastille musique : deux œuvres rares du compositeur allemand Bernd Alois Zimmermann (1918-1970) interprétées par le WDR Sinfonieorchester sous la direction d’Emilio Pomarico. Commande de la Radio de Cologne, Sinfonie in einem Satz, qu’Hans Rosbaud avait conseillé à Zimmermann de réviser, est entendue avec orgue et dans sa version originale de 1951. L’œuvre se veut le témoin de cette « décharge apocalyptique » qui a secoué l’Europe durant la Seconde guerre mondiale. Vocalsinfonie – Die Soldaten, la seconde œuvre de cet enregistrement, a été créée partiellement en 1963 (trois mouvements sur six), soit deux ans avant la première de Die Soldaten. L’ouvrage lyrique ayant été rejeté par son commanditaire l’Opéra de Cologne (au prétexte qu’il était injouable), Zimmermann a l’idée de cette suite de concert réunissant des extraits des deux premiers actes auxquels il ajoute un Prélude et un Intermezzo : une partition dont bastille musique nous révèle l’existence et qui permet de plonger dans l’univers d’un opéra dont les productions sont toujours un événement dans le monde lyrique.

Michèle Tosi

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