Sélection Musique contemporaine et expérimentale 2021
C’est le 13 février 2022 au Studio 104 de la Maison de la Radio, dans le cadre de la 32e édition du Festival Présences 2022 (festival de création musicale de Radio France), que Arnaud Merlin avec la participation d’Omer Corlaix, coordinateur de la commission Musique contemporaine et expérimentale de l’ACC a dévoilé et présentés les 13 Coups de cœur 2020 élus par la commission
après écoute de l’ensemble des nouveaux disques de musique contemporaine publiés en 2020, et quelle que soit leur origine dès lors qu’ils sont accessibles au public en France.
L’émission peut être réécoutée à partir de 1h29 pour les plus impatients
La commission :
Jérémie Bigorie, Pierre-Albert Castanet, Gilles Charlassier, David Christoffel, Omer Corlaix (coordinateur), Alain Fantapié, Laurent Feneyrou, Romaric Gergorin, Guillaume Kosmicki, Jean-Guillaume Lebrun, Alain Louvier, Arnaud Merlin, Michèle Tosi]
L'actualité des Coups de cœur
Eryck Abecassis
Ilumen
Entr’acte (E189)
Musicalisation d’un cri de détresse jusqu’au déchirement de nappes électroniques tirées vers une saturation encore narrative dans No humXn, à partir de Sem Oberheim analog synth, Dark Energy, Sherman filterbank, endrophin.es generator, Wmd PDO ou autre alien Bass guitar, le contrepoint des textures permet de chapitrer la déstabilisation permanente de trajectoires sonores entre bruiteuses, post-indus, hypo-catastrophistes ou délicatement néo-grunge dans La griffe du chien ou La née, chaque plage de l’album Ilumen fait péter le cadre sonore avec un savoir-faire bien frotté.
Christophe Bertrand
Vertigo
Bastille musique (14) - 3 CD
Zafraan Ensemble, KNM Berlin, WDR Sinfonieorchester, GrauSchumacher Piano Duo…
Vingt-deux opus, du solo au grand orchestre, sont réunis (dont douze en première mondiale), soit l’intégrale de la musique instrumentale du compositeur disparu brutalement en 2010. La présentation est chronologique, de 1998 (Skiaï) à 2010 (Quatuor II), dans les deux premiers CD consacrés aux formations de chambre et aux ensembles. Participent à cette intégrale Zafraan Ensemble, KNM Berlin et le duo de piano GrauSchumacher. Le troisième CD réunit les six pièces d’orchestre (2002-2010), toutes gravées en première mondiale. Cinq chefs s’y relaient à la tête de l’excellent WDR Sinfonieorchester de Cologne. Le rendu de l’espace sonore et la qualité de la prise de son font merveille.
François Bon & Kasper T. Toeplitz
135 façons de sauver la Terre
Muse (#4)
Fidèle à ses instruments – la basse électrique et l’ordinateur – et accroché à ses convictions – un son électronique généré en live – Kasper T.Toeplitz (né en 1960) compose et joue une musique qui irrigue aujourd’hui tous les domaines de la scène artistique : en témoigne une discographie impressionnante et un foisonnement de projets transdisciplinaires qui multiplient les collaborations, artistiques autant qu’humaines. Il vient de remonter un vieux projet avec l’écrivain François Bon qui, sur sa musique, lit des textes parfois sur plusieurs livres à la fois. « 135 façons de sauver la Terre » est un théâtre sonore performatif et à haute tension qui fait éclater la dimension narrative et instaure un rapport singulier entre les mots et les sons.
Raphaël Cendo
L’Ensemble Linea revient ici sur les avancées du théâtre de la cruauté sonore créé par Raphaël Cendo. Corps distord des formes, étire des scansions orchestrales d’où surgissent un inconscient très contrasté. À mi-parcours la tension retombe, la nervosité des affects jaillissant autrement. Une acrobatique cadence précédant un bruissement onirique referme avec stridence ce périple tendu de bout de bout. Graphein affine un fourmillement instrumental, fragmentation irisée d’une saturation des vitesses amenant un art des nuances exprimé dans une vitalité exacerbée. Éminemment poétique, Action Painting est une destruction de tout un édifice sonore pour atteindre une autre beauté, celle d’un astre noir hurlant puis s’atténuant dans un lacis de micro-variations.
https://www.resmusica.com/2021/02/01/raphael-cendo-corps-maitre-de-la-demesure-empreinte-digitale/
Bruno Ducol
Adonaïs
Klarthe (K092)
Quatuor Béla, Laura Holm, Julie Brunet-Jailly
Dans le cycle de mélodies Adonaïs ou L’air et les songes, la soprano franco-américaine Laura Holm articule la langue de Shelley et la métrique à l’antique appelée par la musique de Ducol. En lecteur d’Aristoxène, Ducol traite les durées en fonction des nuances au point de tempérer l’abstraction pour se concentrer sur une agogique qui s’autorise aussi bien des emprunts aux tropes de la Renaissance. La ligne de lamentation est de toute façon sidéramment aérée par un Quatuor Béla placé en quasi choryphée, porteur d’un autre ordre de clarté.
Denis Dufour
Complete Acousmatic Works, Vol. 1 (16 CDs)
Kairos (0015076KAI)
Ce coffret de seize disques, Complete Acousmatic Works Vol. 1, publié par Maison ONA et le label Kairos, est un massif qui ouvre sur un monde sonore fascinant, couvrant la carrière de Denis Dufour de 1977 à 2020. Accompagné d’un livret très documenté, ce premier volume permet à des œuvres en grande majorité inédites de s’offrir à des écoutes multiples et analytiques. Chacune d’entre elles fait surgir de nouveaux détails dans cette musique foisonnante : un univers dense, multiple et immensément riche.
Ce coffret a été primé lors des 74e Grands Prix du Disque Musique Contemporaine 2021
Jean-Pierre Collot
Spectral Visions of Goethe
Winter&Winter (CD 910 262-2)
Hugues Dufourt – Franz Schubert, Franz Liszt, Carl Czerny
Quatre poèmes de Goethe sont à la source de ce disque : des lieder de Franz Schubert, transcrits pour piano par Franz Liszt ou Carl Czerny, et en miroir, inscrites dans cette splendide tradition pianistique, quatre œuvres d’Hugues Dufourt, soucieux de magnifier la perception de l’instant, chère à l’écrivain, de faire écho à une lignée schubertienne qui vibre encore chez Gustav Mahler, et de renouveler à travers elle l’appréhension du temps : les illusions perdues, sans repos et sans trêve, de l’amour, sinon le règne des enfers (Rastlose Liebe) ; le sinistre postillon Kronos, miroir du dieu grec, sombre et lent, qui conduit les âmes à Hadès (An Schwager Kronos) ; le calme avant la tempête et la torpeur, d’une humide oppression, ou comme le dit Dufourt, l’« apaisement factice qui précède les ténèbres » (Meeresstille) ; le spectre, enfin, celui, fameux et terrifiant, du Roi des Aulnes (Erlkönig). L’œuvre de Dufourt exalte ici l’apparence, le faux-semblant, la valeur éphémère. Elle vise un artifice au second degré, un art de l’art, une quête d’archétypes, et laisse accroire que la chimère portée à l’excès, le caprice musical et les illusions de l’écoute sont plus vrais que la nature. À cela, Jean-Pierre Collot, après ses enregistrements de Salvatore Sciarrino et Jean Barraqué, donne admirablement vie.
Michael Jarrell
Émegrences-Résurgences, 4 Eindrücke, … Le Ciel, tout à l’heure encore si limpide, soudain se trouble horriblement…
BIS (BIS 2482)
Orchestre national des Pays de la Loire, Pascal Rophé (direction), Tabea Zimmermann (alto), Renaud Capuçon (violon)
Avec ces trois œuvres, composées entre 2009 et 2019, Michael Jarrell s’inscrit dans le prolongement de la modernité orchestrale du 20e siècle. Plus expressive que spéculative, sa musique est toute de contrastes : ombres et lumières, vélocité extrême ou quasi-immobilité, ampleur symphonique et interventions elliptiques. La forme concertante convient parfaitement au compositeur : elle lui permet de toujours renverser les perspectives, regard de l’un sur le tout et inversement, et d’explorer les ressources virtuoses de ses dédicataires, l’altiste Tabea Zimmermann (Émegrences-Résurgences) ou le violoniste Renaud Capuçon (4 Eindrücke), comme celles de l’orchestre, ici dirigé par le fidèle Pascal Rophé.
Hae-Sun Kang
Electron libre
Klarthe (K110)
Boulez, Manoury, Blondeau
Soliste de l’Ensemble intercontemporain, la violoniste Hae-Sun Kang fait cavalière seule dans ce CD réunissant trois générations de compositeurs et autant de pièces pour violon et électronique qu’elle a créées.
Anthèmes 2 (1997) de Pierre Boulez, qu’elle a enregistrée une première fois chez DG, est l’œuvre référante de cet enregistrement. Elle fait appel à l’électronique en temps réel comme Partita 2 de Philippe Manoury, une partition de 2012 écrite dans le sillage de Partita I (2006) pour alto et électronique dédié au regretté Christophe Desjardins. Sasha J. Blondeau est un ircamien assidu, l’enfant du numérique, pourrait-on dire, qui, dans Atlas II, poursuit ses recherches sur le système Antescofo, un outil interactif permettant à la machine de réagir en direct aux gestes de l’interprète. La pièce bénéficie, comme les deux autres, d’une qualité optimale de prise de son. Hae-Sun Kang est éblouissante, tant par l’envergure sonore qu’elle confère à chacune des pièces que par la conduite magistrale de son archet.
Polish Heroines of Music
Anaklasis (ANA014)
G. Bacewicz, H. Kulenty, E. Sikora, A. Zubel, par Bartłomiej Duś (saxophone), Magdalena Duś (piano), Misja Fitzgerald Michel (guitare électrique) et l’Orchestre Pasdeloup, Marzena Diakun (dir.)
Cette anthologie de quatre œuvres de quatre compositrices polonaises prend la suite du coffret de 100 disques consacré au siècle polonais (1918-2018). La Pologne est une nation ancienne mais paradoxalement également une jeune nation renaissante en 1918 après la chute des trois empires mais qui se retrouva sous la tutelle soviétique de la fin de la Seconde guerre mondiale jusqu’à la proclamation de la IIIe république polonaise le 1er janvier 1990. La musique contemporaine polonaise s’est imposée en Europe avec le festival Automne à Varsovie en 1956, fer de lance à l’Est de l’Europe de la musique contemporaine. La disparition en mars 2020 du compositeur Krzysztof E. Penderecki marque un tournant dans la musique contemporaine polonaise ainsi que l’illustre ce disque, On quitte la rive du monde des écoles fédérant les compositeurs autour d’un thème à une expression plus personnelle de l’artiste. Ainsi chacune des quatre compositrices de ce cd explorent chacune un chemin qui lui est propre. Le plus vieille orchestre français, l’Orchestre Pasdeloup fondé en 1861 par Jules Pasdeloup s’est prêté au jeu sous la direction de la jeune cheffe polonaise Marzena Diakun..
Sébastien Roux
Musiques d'ordinateur
Montagne Noire
Les compositions de Sébastien Roux reposent en général sur des bases simples : des ondes pures sinusoïdales et une règle unique de génération et de structuration. Son disque Musiques d’ordinateur a cependant l’art et la manière de concilier cette facture avec un rendu très sensuel et peut s’écouter simultanément de deux manières : avec une oreille analytique, qui décode les procédés et repère les algorithmes en action ; et avec une oreille sensible, qui jouit pleinement des sons au fil de leur émergence. Les deux écoutes restent éminemment ludiques, mais le jeu n’est pas du même ordre.
https://hemisphereson.com/les-mathematiques-sensuelles-de-sebastien-roux/
Georgia Spiropoulos
Fonotopia
éOle Records (éOR_019)
Médéric Collignon, Accentus, Hélène Breschand
Compositrice et artiste multimédia, Georgia Spiropoulos définit son travail comme un champ de pratiques combinées où interagissent l’écrit et l’oralité, les sons instrumentaux et l’électronique, l’interprétation d’une partition et la performance des musiciens.
Si elle fait revivre à sa manière les rituels de la Grèce antique dans Les Bacchantes et Klama, c’est la harpe, instrument des origines, qui s’hybride dans Roll...N’Roll...N’Roll sous l’action des gestes de l’interprète reliés à la technologie du temps réel.
https://www.resmusica.com/2021/11/14/les-mondes-hybrides-de-georgia-spiropoulos-eole-records/
Fanny Vicens
Turn On, Tune In, Drop Out
éOle Records (éOR_020)
Il fut un temps où l’accordéon n’avait pas bonne presse dans le monde de la musique d’aujourd’hui. Fanny Vicens fait partie de ces accordéonistes qui ont activement participé depuis quelques années à la reconnaissance de l’instrument auprès des créateurs. Travaillant au plus près avec les compositeurs de son temps, l’accordéoniste se situe ici au cœur du réacteur, qu’il s’agisse de développer le répertoire pour accordéon microtonal, ou de diversifier les relations entre accordéon et électronique. « Turn On, Tune In, Drop Out » présente ainsi, au fil de sept pièces signées Aurelio Edler-Copes, Pierre Jodlowski, Mayu Hirano, Carlos de Castellarnau, Jérôme Combier, Nuria Giménez-Comas et Alexander Vert, une palette esthétique d’une rare richesse. Avec un engagement du geste, et une finesse d’interprétation, qui ne condamnent jamais l’écoute à l’admiration d’une pure virtuosité.