Sélection Musique contemporaine 2018

La sélection 2018 est annoncé le 26 décembre par Omer Corlaix sur France Musique lors de l’émission le concert du soir 26 décembre.

Cette année, notre liste des Coups de Cœur comprend 88 CD sélectionnés plus un DVD (Helmut Lachenmann, See the sound, interprété par le MDI ensemble gravé par Empreinte digital). Le CD reste en dépit du streaming généralisé un vecteur de diffusion et de reconnaissance pour labels, les compositeurs et les artistes interprètes de musique contemporaine.

Notre sélection comprend 21 monographies de compositeurs français, cela représente près d’un quart de celle-ci. La plupart des compositeurs proviennent de l’Union européenne, la liste rassemble plus de 50 compositeurs, cela représente un peu moins des deux tiers. Il est à noter la présence de la Bulgarie, représenté par le compositeur Yassen Vodenitcharov. Les pays nordiques et les pays baltes sont toujours bien très présents. La Chine et le Japon poursuivent leur croissance. Si les compositrices sont faiblement représentées dans la liste générale et dans le monde de la composition, trois d’entre elles sont présentes dans les Coups de Cœur de notre palmarès 2018.

La commission :
Jérémie Bigorie, Pierre-Albert Castanet, David Christoffel, Omer Corlaix (coordinateur), Laurent Feneyrou, Guillaume Kosmicki, Jean-Guillaume Lebrun, Alain Louvier, Arnaud Merlin, Michèle Tosi.

L'actualité des Coups de cœur

Sinuous Voices

Ondrej Adamek

AEON, AECD 1858, 2017

République tchèque

Roméo Monteiro (Airmachine) et l’Ensemble Orchestral Contemporain
sous la direction de Daniel Kawka

Ondrej Adámek (1979) est un des compositeurs que les institutions musicales convoitent le plus. Il y a un souffle nouveau, une puissance d’invention musicale qui alerte l’oreille de l’auditeur, il surprend par le naturel de son geste musical, il y a une évidence. L’aspect chatoyant et très mobile de la musique fascine. Sa musique est large et très festive. L’Ensemble Orchestral Contemporain (1992) que dirige son fondateur Daniel Kawka s’est avec élégance glissé dans la musique de ce lutin espiègle. Très belle monographie, c’est la plus réussie d’Ondrej Adámek à ce jour.

Omer Corlaix

Infra

Pascale Criton

Potlatch, 2018

Compositrice et chercheuse passionnée par la philosophie et l’ethnomusicologie, Pascale Criton travaille dans le domaine de la microintervallie et des nuances différentielles du spectre sonore. De Bothsways conçue pour les Alle Breve de France Musique, à Chaoscaccia, la pièce maîtresse de cet album, sollicitant la collaboration de la violoncelliste Deborah Walker, les huit titres du CD nous plongent dans la vie de la matière et ses fluctuations infimes, entre couleurs fantasmagoriques et bruit blanc. Aux côtés de la flûte et du trombone, la guitare, le violon et le violoncelle sont accordés au 1/16ᵉ de ton.

Michèle Tosi

Stillness

Aurélien Dumont

Odradek, 2017

par l’ensemble Linea sous la dir. de Jean-Philippe Wurtz,

Profondément marqué par le Japon comme beaucoup de ses confrères, Aurélien Dumont en tire des idées musicales qui tranchent avec l’inspiration purement orientaliste, ou la banale thématique de l’espace et du temps. Ses procédés de composition, son talent d’orchestrateur, sa réflexion sur l’image, le texte, et les interstices, permettent d’intégrer des objets musicaux subtilement modifiés, en un jeu de pistes magnifiquement servi par l’excellent ensemble Linea, dirigé par Jean-Philippe Wurtz.

Arnaud Merlin

Modern Lied

Sarah Maria Sun, Jean Philip Schulze

Mode Records 297, 2017

par la soprano Sarah Maria Sun et le pianiste Jan Philip Schulze

Ancienne membre des Neue Vokalsolisten Stuttgart, Sarah Maria Sun a été à bonne école pour interpréter le répertoire vocal contemporain. Elle est ici secondée par le pianiste Jan Philip Schulze, dont le touché-caméléon s’adapte à toutes les exigences. Lachenmann n’en est pas avare dans son Golt Lost, pièce-maîtresse du programme, où la table d’harmonie et les cordes manipulées à même le corps de l’instrument sont autant sollicitées que le clavier. Sarah Maria Sun impressionne par son investissement de tous les instants : sa décomposition des phonèmes ainsi que son articulation des diphtongues ne sont pas sans rappeler l’art de Cathy Barberian, même si le timbre la rapproche davantage de Barbara Hannigan. Grâce ce récital de Lieder hors des sentiers battus, elle nous offre même, pour reprendre la belle expression d’Antoine Goléa sur la Cantate pour elle d’Ivo Malec, « un microcosme d’humanité ».

Jérémie Bigorie

Double bass

Joëlle Léandre

Empreinte digitale, ED13250, 2018

Oeuvres deJoëlle Léandre, Betsy Jolas, Giacinto Scelsi, John Cage, Jakob Druckman

Double Bass se présente comme un fabuleux coffret de 2 CD, l’un de musique dite « contemporaine » (Scelsi, Cage, Bussotti…), l’autre de compositions et improvisations de Joëlle Léandre elle-même. Dans son sillage magistral, la contrebassiste virtuose n’a pas oublié d’inviter des musiques féminines (Jolas, Kanach, Altenburger). Reine impudique de la performance (qui a rendu autant hommage à Marcel Duchamp qu’à John Cage), princesse énamourée du cross over (flirtant volontiers dans le no man’s land se situant entre savant et populaire), Joëlle Léandre révèle ici la quintessence de son art.

Ailes

Philippe Leroux

Soupir editions, S244, 2017

Meitar ensemble sous la dir. de Pierre-André Valade

Philippe Leroux (1959) n’est pas à proprement parler un compositeur spectral mais par certains aspects de son écriture musicale il s’en rapproche en raison de l’importance donnée à la linéarité de sa musique. Elle se développe par contiguïté et porosité. La vitesse, le ralentissement, l’épaisseur, voire la viscosité ou le fugace sont des critères qui l’organisent. Ce disque réalisé avec soin par un ensemble israélien de Tel-Aviv, Meitar (2004) a été dirigé par de Pierre-André Valade, un familier de sa musique. Ce disque confirme les qualités plastiques, et la virtuosité de la musique de Philippe Leroux qui requiert un engagement continu des interprètes.

Omer Corlaix

Blanc mérité

Gérard Pesson

AEON, AECD1649, 2017

par Ensemble Cairn sous la dir. de Guillaume Bourgogne

Gérard Pesson (1958), l’importance du silence et du ciselé sont des caractéristiques de sa musique. Les œuvres qui composent ce disque sont des eaux-fortes. Si le temps semble parfois s’arrêter, il devient souvent vif, très rythmé, voire déhanché. Le rêve est possible mais la marche du temps s’impose, on est dans le monde d’E. T. Hoffmann. Gérard Pesson est un poète fantasque. L’Ensemble Cairn dont on fête les vingt ans est tout à son affaire, que dirige en l’occurrence le fidèle Guillaume Bourgogne. Il faut également rendre à César ce qui est à César si on veut être juste, la qualité de la gravure sonore réalisée par Mathieu Bonilla et Clément Marie, est magistrale. On adore sans réserve, ce chef-d’œuvre discographique.

Omer Corlaix

Occam ocean

Eliane Radigue

eer 1, 2017

Par la clarinettiste Carol Robinson, l’altiste Julia Eckhardt, le harpiste Rhodri Davies, Shiin

C’est au tournant du nouveau millénaire qu’Éliane Radigue a orienté son écriture vers les instruments acoustiques, après des années de compositions électroniques. Occam, son nouveau cycle a débuté en 2011, rassemblant ici trois excellents musiciens qui ont parfaitement accompli l’ascèse nécessaire à la profonde introspection méditative suscitée par ces œuvres. Le principe de simplicité du philosophe Guillaume d’Ockham, la « hache d’Occam », se matérialise dans la matière sonore extrêmement subtile et précise des solos, duo et trio, de la clarinettiste Carol Robinson, de l’altiste Julia Eckhardt et du harpiste Rhodri Davies. Ces interprètes reflètent à merveille la « virtuosité du contrôle infime et absolu » prônée par la compositrice.

Guillaume Kosmicki

Farandoles de bribes…

Jean-Marc Singier

Merci pour les sons, MPSL 17001, 2017

par la pianiste Marie-Josèphe Jude, le percussionniste Florent Jodelet), l’ensemble Fa
sous la dir. De Dominique My

Plateau de desserts au miel ? Ronde populaire wisigothe ? Mais non : petite cellule rythmique de 5 ou 6 pieds (selon l’E muet) ; Signé Singier, bien sûr !
Comme dit Gérard Pesson : une musique très entendue, sinon écoutée.... Alors écoutons, toutes oreilles dehors, ces musiques inventives, toujours inattendues, d’un humour primesautier, au surréalisme parfois enfantin.
On ne s’ennuie jamais, les interprètes non plus !
Farandole de bribes ? Peut-être, mais accommodées avec gourmandise par un maître-pâtissier...

Move 03, Sull’essere angeli, Hondar

Srnka, Francesco Filidei, Ramon Lazkano

Printemps des Arts de Monaco, 2017

par le flutiste Mario Caroli (flûte), Orch Philh. de Monte-Carlo dir.Pierre-André Valade

Cette anthologie orchestrale fut accueillie avec un grand enthousiasme par les membres de la Commission musique contemporaine de l’ACC. Elle rassemble trois compositeurs, le premier Miroslav Srnka (1975) est Tchèque, le second Francesco Filidei (1973), Italien et le troisième Ramon Lazkano (1968) est Basque, ce qui les rassemble, c’est le Printemps des Arts, à l’occasion duquel les œuvres ont été créées. Ce disque illustre la diversité des approches, ce qui les unit, c’est l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, et le chef d’orchestre, Pierre-André Valade. Où est l’unité, elle n’est point-là, c’est la diversité et un certain état d’esprit que l’on pourrait appeler le « cogito musical » qui constitue l’unité. Cette « musique réflexive » nous est contemporaine par ce cheminement. On pourrait confronter notre écoute à celle d’un Walter Scott qualifiant l’œuvre de son contemporain, E. T. A. Hoffmann, « sa musique ne fut qu’un assemblage de son étrange. » Familière aujourd’hui, la musique de ce dernier pouvait donc sembler inaudible à ses contemporains. N’est-ce pas le lot de toute musique sortant de nos habitudes d’écoute ?

Omer Corlaix

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