Sélection Parole enregistrée et Documents sonores 2022

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Quel plaisir de réentendre la voix si particulière de Jean-Claude Brialy, grand comédien qu’il ne faudrait pas oublier. Et la réédition remastérisée de cet enregistrement de 1991 tombe à point nommé pour nous remettre en mémoire ce phrasé si particulier, à la tonalité presque nasillarde, qui était le sien. D’autant plus qu’il est mis là au service d’extraits choisis du Journal de Jules Renard, de son ironie mordante, voire de sa méchanceté, ce qui convient bien au comédien qui semble s’être régalé comme il nous régale, à dire ces courtes incises / incisions dans la pensée, ces aphorismes (« Cherchez le ridicule en tout, vous le trouverez ») sans concessions, toujours drôle et percutant, plus de cent ans plus tard. Et on y entend aussi un autre homme, à la dent moins dure qu’il n’y paraît : « Faire de ses rêveries des pensées. »

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jacques Tournier

Après Colette (Lettres à Missy et La Vagabonde, Coup de cœur Charles Cros 2020), la comédienne Anouk Grinberg (Merci la vie et Mon Homme de Bertrand Blier, et cette année La Nuit du 12, de Dominik Moll et L’Innocent de Philippe Garel), met tout son talent au service des nouvelles de l’écrivaine étatsunienne Carson McCullers (1917-1967), auteure de Reflets dans un œil d’or et de Le Cœur est un chasseur solitaire...
Sa voix basse, parfois éraillée, sait se faire traînante sans en faire trop pour se prêter aux univers populaires recréés par la nouvelliste, qui a su si bien retranscrire dans son œuvre l’ambiance sudiste d’un pays peuplé de marginaux. On sent la chaleur accablante et la tension qui à chaque instant transpire.

Après un Coup de cœur en 2019 pour son Baudelaire, Bertrand Louis s’empare pour son septième album des poèmes de Paul Verlaine. Mais pas de n’importe lesquels. Il a choisi onze poèmes parmi les vingt-cinq qui composent le recueil Chansons pour elle, publié en décembre 1891.

L’un dans l’autre, à notre aise, / Soyons pires que braise / Puisque s’en vient l’hiver, / Tous les deux, corps et âme, / Soyons pires que flammes, / Soyons pires que chair !

Le ton est donné : le choix sera érotique. Mais d’un érotisme parfois désespéré, comme un dernier refuge pour d’ultimes amours : Toi mon dernier, mon seul témoin (Verlaine, syphilitique et alcoolique, mourra cinq ans plus tard).

Le rythme choisi par Bertrand Louis est en adéquation avec l’atmosphère des textes, entre dernier sursaut et abandon des sens. Alternant avec bonheur plages rythmées sans rien perdre de l’attention au texte, et d’autres plus lentes, comme autant de respirations dans l’urgence de dire le désir, Bertrand Louis s’inscrit comme un des grands interprètes des nos grands poètes, aux côtés de Ferré et de Ferrat.

Une œuvre maîtresse du XX^e siècle par un écrivain dont d’autres romans ont été récemment enregistrés (La Passante du Sans-Souci, Belle de Jour et Les Mains du miracle, lue par Michel Vuillermoz que la commission a couronné du Grand Prix en 2018).

Fresque à la démesure de l’écriture de Kessel (16 heures), grand voyageur et grand reporter, dans laquelle souffle la fable de l’Afghanistan et l’art de l’imaginaire du romancier, Les Cavaliers ont trouvé dans la voix de Pierre-François Garel (déjà récompensé d’un Coup de cœur spécial en 2019 pour l’enregistrement de quatre romans aux éditions Thélème !) un merveilleux ambassadeur, tant cette voix basse et claire rend vivants tous les personnages et proches les paysages que nous fait rencontrer le roman.

Traduit du japonais par René Sieffert

La voix de Dominique Sanda, celle qu’entendit Robert Bresson avant même de l’avoir rencontrée pour être le personnage principal de Une Femme douce (1969), cette voix, nous la réentendons dans cet enregistrement de 1992, introuvable et remastérisé par les éditions Audiolib pour qu’il rejoigne la belle collection récompensée d’un Coup de cœur en 2021.

Impossible de passer à côté de cette réédition qui permet à la comédienne de Benoît Jacquot, Michel Deville ou De Sica de donner corps à Egushi, le héros vieillissant de Kawabata, mais aussi aux corps muets de ces « belles endormies » qu’il côtoie dans cette étrange maison close. Un texte qui pourrait paraître sexiste à notre époque, mais qui reste une œuvre essentielle pour sa sensibilité et capacité à faire vivre la mémoire.

Les Conférences et Discours 1936-1958 d’Albert Camus ont été publiés en édition de poche en 2017.
Mais ces textes sont bien plus à entendre qu’à lire.

Ancien pensionnaire de la Comédie française, qui fut Dominique de Villepin au cinéma, Jacques Chirac et Charles de Gaulle à la télévision, connu surtout pour être le commissaire Swan Laurence qu’il interpréta dans les 27 épisodes des Petits meurtres d’Agatha Christie de 2013 à 2022, Samuel Labarthe prête son phrasé net et son intelligence du texte à la pensée du Prix Nobel de Littérature 1957, dont ont été retenus ici sept textes, datés de 1946 à 1957, soit plus de 3h15 d’écoute.

Le CD se clôt par Albert Camus lui-même lisant son discours devant l’Académie Nobel. Et si Labarthe ne peut être Camus, il lui rend un bel hommage en donnant voix et vie à ses écrits.

Mathias Malzieu, fondateur du groupe rock Dionysos, romancier, cinéaste (il a adapté au cinéma deux de ses romans), s’empare de son propre livre, récit de l’enfance de son père à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il nous livre avec Le Guerrier de porcelaine un récit intime, onirique, mêlant réalité et fiction, par lequel le narrateur, un enfant de 9 ans, orphelin de mère, arraché à sa vie familiale du fait de la guerre, exprime sa douleur, sa colère, mais aussi son appétit de vie. Plein de fantaisie, jouant avec les mots, personnalisant les objets familiers, se recréant un univers affectif, il se fait guerrier. Guerrier de la vie, le long d’un récit très imagé, presque cinématographique.

Mathias Malazieu prête sa voix à l’enfant que fut son père, le petit Mainou, conférant à ce récit une dimension émotionnelle palpable et maîtrisée.

La parole d’un homme, intime, lancinante, répétitive parfois, entremêlant dans un discours onirique, dérivant au fil du temps, passé, présent, souvenirs, rêveries. La parole d’un homme d’où émergent quelques éléments d’un réel que l’on devine, un jardin, la visite d’une sœur, la carabine du père, l’oiseau douleur... l’oiseau douleur. La parole d’un homme qui se dissout dans les mots, à moins qu’il n’advienne, portée par la voix d’Arthur Teboul, parolier et chanteur du groupe rock Feu Chatterton, qui endosse ce texte, nous le livre comme un secret, nous entraînant, avec une essentielle légèreté, au plus profond de l’écriture de Yan Allegret.

Depuis le début des années 1980, figure incontournable du cinéma français (il a tourné pour Jeunet, Beineix, Lelouch, Polanski, Mocky,...) et du théâtre (Molière du meilleur acteur pour L’Hiver sous la table de Roland Topor, mis en scène par Zabou Breitman), Dominique Pinon prête sa voix claire - et reconnaissable à sa gouaille bien maîtrisée - à la fresque franco-chilienne de Miguel Bonnefoy, rendant vivante la multitude de personnages, parmi lesquels le patriarche qui aurait fui son Jura natal « avec trente francs dans une poche et un pied de vigne dans l’autre », le révolutionnaire Ilario Da, Margot, l’aviatrice obstinée, nous faisant traverser le XX^e siècle et ses soubresauts, guerres et dictatures.