Henri Lecomte
Membre depuis 2004
Membre de la commission Musiques du monde
Ethnologue-musicien à l’écoute des fêves des mondes
Les « esprits » des steppes accueilleront-ils Henri Lecomte et quelque complainte naîtra t’elle en son honneur chez les éleveurs de rennes ? Il se gausserait de cette idée en bougonnant un paradoxe. Henri Lecomte avait l’humour caustique. Ainsi il assurait ne pas être ethnomusicologue et ne pas en vivre car il « gagnait honnêtement sa vie ». Pour le moins, attiré par le Grand Nord, il s’était un jour rendu dans des régions du Canada et de la Russie pour se lancer dans une enquête de terrain de longue haleine. Une aventure au cours de laquelle il va particulièrement s’intéresser aux rapports entre la musique et le Chamanisme, montrant sa permanence quelques soient les bouleversements géopolitiques et culturels. Une saga anthropologique qu’il synthétisera dans son ouvrage, « Les esprits écoutent, Musiques des peuples autochtones de Sibérie », passionnant panorama des expressions musicales de trente peuples autochtones. Un ouvrage qui livre sa perception de l’espace sibérien contemporain à travers un patchwork d’isolats culturels perçus dans leurs dynamiques contradictoires. Mais le natif de Lambézellec (Finistère, 1938) avait exercé sa sagacité dans bien d’autres domaines des musiques traditionnelles (routes de la soie, Moyen-Orient, Afrique (cf. son livre « Musiques de toutes les Afriques » avec Gérald Arnaud), et cela depuis le mitan des années 70. Après avoir suivi les cours de Claudie Marcel-Dubois (actrice décisive de la naissance du Musée National des Arts et Tradition Populaires) à l’École Pratique des Hautes Etudes, il écrivit de nombreux articles, travailla dans le milieu de l’animation scolaire (étant à l’initiative en 1978, de l’association « Musiques des peuples du monde » fondée sur une collection personnelle de 250 instruments de musique des cinq continents). En outre, on le verra producteur de radio, réalisateur de documentaires (« Mexique, les troubadours de la révolution » ; « Musiques du cœur de l’Arabie, Yémen » ; « Ali Farka Touré. Ça coule de source » ; « Le Paris secret des musiques du monde » ; « Musiques de Mongolie »). Etant aussi maître d’œuvre de dizaines de Cds et responsable d’enseignements à l’université. Chercheur associé à l’Inalco (Centre d’Etudes et de Recherches sur la Russie et la Sibérie), membre associé du Séminaire d’études ethnomusicologiques de Paris-Sorbonne (Paris IV), Henri Lecomte réalisant notamment une formidable « Anthologie des musiques sibériennes » publiée par le décisif label Buda Records dirigé par l’ami Gilles Fruchaux.
J’ai connu Henri Lecomte au début des années 80 alors qu’il jouait les pédagogues des musiques du monde auprès de gamins fascinés. Un exercice dans lequel il m’apparaissait comblé. Quand ce caractère plutôt sauvage et foncièrement libre ne prisait guère les conventions des adultes et de leurs institutions. Plus tard, je l’ai sollicité pour qu’il fasse partie du jury musiques du monde de l’Académie Charles Cros. Instance à laquelle il a participé jusqu’au dernier palmarès, insistant à cette occasion, en faveur d’œuvres consacrées aux musiques et épopées de Haute-Asie, à des arts de la parole Pala’wan, à des musiques du Maramures ou du Pansori. Plus récemment, j’avais échangé à propos du shaman de Tuva, Nikolay Oorzahk, que j’invitais depuis Tuva pour une résidence de création au Chantier (Centre de création des musiques du monde). Eclectisme et humanité : sur le fond, notre breton qui devait avoir un reliquat de cap-hornier dans les veines, était foncièrement de la famille des grands globe-trotters érudits façon Nicolas Bouvier ou Alan Lomax (grand collecteur de musique qu’il avait d’ailleurs interrogé pour l’indispensable revue Trad’Mag). Soit un amoureux de la vie dans ses fascinantes mises en abymes, qui ne pouvait mieux se résumer qu’à travers sa flûte sakuhachi, un verre de whisky ou un regard de femme.
Frank Tenaille